Vida loca (La)

Vida loca (La)
Titre original:Vida loca (La)
Réalisateur:Christian Poveda
Sortie:Cinéma
Durée:90 minutes
Date:30 septembre 2009
Note:
A la Campanera, une banlieue défavorisée de San Salvador, les deux gangs de jeunes Mara Salvatrucha et Mara 18 se livrent une guerre sans merci. Basées sur le modèle des regroupements criminels des anciens immigrés salvadoriens à Los Angeles, ces bandes représentent le seul repère pour les jeunes sans perspective. Afin de permettre aux jeunes délinquants d'acquérir un minimum de responsabilité et le sens du travail, une organisation non gouvernementale, fondée par des anciens de Mara 18, ouvre une boulangerie dans le quartier à laquelle les membres du gang sont appelés à participer.

Critique de Tootpadu

Dans le magnifique Sin nombre de Cary Joji Fukunaga, la Mara Salvatrucha au Mexique était un moteur féroce pour la fiction, un arrière-plan menaçant et mystérieux pour l'odyssée des immigrants économiques. Dans La Vida loca, la Mara 18 imprègne la réalité du documentaire de toute sa violence et son désespoir, telle une condition trop horrible et oppressante pour être vraie. Pourtant, la mort sans préavis est bien une réalité en El Salvador, puisque le réalisateur Christian Poveda a été retrouvé mort hier, le 2 septembre, avec une balle dans la tête, pas loin du quartier défavorisé de la Campanera, où il était retourné pour d'autres recherches.
Son premier documentaire pour le cinéma doit du coup porter involontairement la lourde charge du film testament, d'une oeuvre essentielle qui contiendrait en elle la somme du travail de son auteur. Nous ne connaissons point les autres reportages du journaliste, qui a sillonné depuis le début des années 1980 le globe pour rendre compte des dérives de notre civilisation, à travers des sujets aussi divers que l'extrême droite européenne, le sport comme facteur social ou la situation politique chroniquement instable en Amérique latine. Mais ce qui ressort avant tout de La Vida loca, c'est un regard impartial, qui ne se permet pas le moindre jugement sur les jeunes délinquants qu'il accompagne et qui ne cherche pas non plus à nous attendrir sur leur sort.
La sobriété est la plus grande qualité de l'approche de Christian Poveda. On sent bien que le côté obscur des gangs lui est interdit, puisqu'il ne montre que très sporadiquement des activités illégales. Mais rien qu'à partir des tranches de la vie courante, comme les visites chez le médecin pour accoucher, se faire recoudre après une fusillade ou corriger une vue défaillante, comme les arrestations régulières ou le projet commun de la boulangerie, la précarité misérable de la vie de ces jeunes sans repère, autre que leur appartenance au gang, devient une triste évidence. La caméra ne peut nous montrer que les conséquences de la violence - à l'exception du rite d'initiation final -, les pleurs lors des nombreux enterrements et la promesse de venger l'assassinat de l'ami, qui alimente jusqu'à l'infini la spirale de la violence. Peut-être pire encore est la perte de la dignité humaine, à travers la répétition abrutissante des massacres, les mises en berne en série et le traitement policier sans la moindre compassion. Car les forces de l'ordre et les instances judiciaires sont elles aussi usées par un statu quo sans le plus infime espoir de rémission, voire d'amélioration.
Ce qu'il reste à ces jeunes sans avenir, ce sont soit des tentatives d'insertion bien intentionnées mais mal exécutées, soit la fuite dans la religion, prêchée par des missionnaires évangéliques américains, qui perpétuent ainsi la tradition abjecte de la colonisation par des idées point adaptées au vécu de leurs disciples potentiels. Le plus probable cependant, c'est que l'immense majorité des intervenants dans ce documentaire lucide et affligeant en même temps n'ait pas l'occasion de vieillir, puisqu'une balle de la guerre sans raison entre les gangs, que la police impuissante regarde de l'extérieur, les achevera sans prévenir et sans faire de vagues, comme l'effet sonore très sobre des coups de feu, qui annoncent chaque nouvelle disparition. Hélas, la mort brutale du chroniquer fidèle du quartier montre que la paix restera sans doute encore pour longtemps une utopie pour les pauvres salvadoriens.

Vu le 3 septembre 2009, au Balzac, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: