Dimanches de Ville d'Avray (Les)

Dimanches de Ville d'Avray (Les)
Titre original:Dimanches de Ville d'Avray (Les)
Réalisateur:Serge Bourguignon
Sortie:Cinéma
Durée:111 minutes
Date:07 avril 2010
Note:
Après avoir été sérieusement blessé pendant la guerre d'Indochine, le pilote Pierre a perdu la mémoire. Il habite chez sa copine Madeleine à Ville d'Avray, en banlieue parisienne. Son amnésie l'empêche d'aller de l'avant, puisqu'il ignore qui il est réellement. Un soir, en attendant Madeleine à la gare, il fait la connaissance de Françoise, une fille de bientôt douze ans, qui est déposée par son père dans un internat religieux. Pierre apprend que le père ne va pas revenir. Il rend alors visite à Françoise tous les dimanches, en se faisant passer pour son père et sans révéler cette relation innocente à Madeleine.

Critique de Tootpadu

Une gamine adorable et un héros marqué par les séquelles de la guerre : tous les éléments paraissent réunis afin de justifier pourquoi ce film plutôt obscur avait reçu en 1963 l'Oscar du Meilleur Film étranger, ainsi que deux nominations pour le scénario et la musique l'année suivante. Et pourtant, Les Dimanches de Ville d'Avray n'est nullement le genre d'épopée sentimentale et réconfortante, qui rafle d'habitude ce prix ces temps-ci. Au contraire, la relation ambiguë entre Pierre et Françoise ne manque pas de susciter un malaise constant. Le point de vue moral indécis du film lui sera en fin de compte fatal. Avant que les bonnes moeurs n'écrasent violemment la fleur délicate de l'amour innocent entre le vétéran et l'orphelin, il est permis à ces derniers de s'épanouir dans une complicité et un attachement émotionnel peu présents au cinéma. En effet, de nos jours, une telle histoire souleverait immanquablement la question épineuse de la pédophilie. Mais rien de tel ici, puisque la méfiance de l'entourage du protagoniste ne se manifeste qu'à la toute fin du film, sa partie la plus verbeuse et la moins réussie.
Le traitement de la relation entre Pierre et Françoise et de ses implications sociales n'est cependant pas le seul aspect daté du film. La ressortie de ce que nous considérions plus comme une curiosité de l'Histoire du cinéma que comme un classique incontournable, en tout cas en France, nous permet en effet de nous rendre compte à quel point l'expression filmique et ses préoccupations formelles ont évolué de façon significative depuis un demi-siècle. Les années 1960 se sont distinguées par une quête presque métaphysique du sens des choses et de la vie. Ainsi, le fond psychologique des troubles de Pierre n'est pas expliqué d'une manière explicite, mais son mal de vivre, qui est au fond celui de tous les personnages, pèse sur le récit comme une mise en garde abstraite. Ce malaise existentiel et ce dépouillement des certitudes se retrouvent du côté visuel du film. Dans le cadre d'un langage cinématographique libéré par la Nouvelle Vague, tous les motifs, aussi farfelus soient-ils, sont permis pour transmettre symboliquement les intentions du film. A la limite, ce sont surtout ces plans des cercles dans l'eau ou des convives vus à travers le fond du verre qui enferment esthétiquement ce film dans une époque définitivement révolue.
Enfin, les interprétations jouent un rôle important dans la création d'un malaise durable et passablement malsain. Hardy Krüger en héros de guerre amnésique s'en sort encore le mieux, puisque son jeu détaché permet à Pierre de rester à l'écart, dans sa bulle d'une folie douce, de tout jugement moral sévère. Patricia Gozzi et Nicole Courcel ont déjà beaucoup plus de mal à faire exister les deux extrémités émotionnelles entre lesquelles Pierre s'use. Tandis que la première fait bien trop promptement couler les larmes à flots pour nous émouvoir, la deuxième peine à rendre intéressant son personnage dévoué, et même assez masochiste dans son amour unilatéral pour Pierre, en dehors de sa fonction scénaristique de base comme lien fragile avec la raison et le respect des conventions sociales.

Vu le 2 mars 2010, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: