Mon homme Godfrey

Mon homme Godfrey
Titre original:Mon homme Godfrey
Réalisateur:Gregory La Cava
Sortie:Cinéma
Durée:93 minutes
Date:16 septembre 1936
Note:
Godfrey vaque à ses occupations dans les bas-fonds de New York, quand il se voit offrir cinq dollars pour servir de trophée dans la chasse aux rebuts, matériels ou humains, que la haute société conduit pour s'amuser. Vexé par la proposition humiliante de la riche Cornelia Bullock, il accepte cependant celle de sa soeur Irene, qui rêve de remporter pour une fois le premier prix de ce tournoi absurde qui se déroule au Ritz. En guise de rétribution, Irene invite Godfrey à se présenter le lendemain matin à la demeure familiale, afin d'y occuper le poste de majordome, vacant depuis peu. Ce qui paraît d'abord comme une offre d'emploi sérieuse se révèle rapidement en tant qu'invitation dans une maison de fous, riches et excentriques, qui mettent à rude épreuve la patience de l'ancien clochard.

Critique de Tootpadu

Alors que le cinéma hollywoodien veut nous faire croire récemment qu'il est déjà l'heure de recycler les années 1980, notre époque comporte bien plus d'analogies avec la décennie entre la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. Après avoir vu ces derniers temps plusieurs films qui en sont issus ou dont l'action se déroule pendant cette période, comme La Crise est finie de Robert Siodmak et Stavisky d'Alain Resnais, nous sommes plus que jamais convaincus que l'Histoire est en train de se répéter, tout en espérant que l'humanité aura appris de ses erreurs et qu'elle nous épargnera par conséquent une conclusion aussi fatale que celle qui avait débuté en 1939. La ressemblance entre notre climat social actuel et la précarité dépeinte dans cette comédie brillante est en effet troublante. Elle se manifeste autant par la tension palpable qui élargit chaque jour un peu plus le fossé entre les riches et les pauvres, et la décadence qui caractérise la classe supérieure en ces temps difficiles, perçue encore comme plus perverse depuis le point de vue des crève-la-faim.
Le jeu dégradant et totalement absurde sur lequel s'ouvre Mon homme Godfrey a beau annoncer les divertissements stupides qui pullulent sur nos écrans de télévision, sous le nom de "télé-réalité" - au point que l'on peut s'étonner qu'aucun producteur n'ait encore eu l'idée de l'imiter pour faire grimper l'audimat -, l'intrigue du film se démarque par son propos universel. Dans la lignée de Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir, elle tourne en dérision le style de vie de ceux et celles, qui se réfugient dans leur tour d'ivoire, coupés des dures réalités de la vie. L'humour cinglant y découle avant tout du décalage entre l'attitude et les propos frivoles de la famille Bullock et le sérieux réservé de leur nouveau domestique improvisé. Contrairement à l'optimisme sucré avec lequel les films de Frank Capra cherchent à instaurer de nouveau la foi en l'humanité chez le spectateur, la mise en scène de Gregory La Cava, appuyée par l'excellent scénario de Morrie Ryskind, un transfuge des frères Marx, et Eric Hatch, privilégie une approche plus ambiguë. Le réalisateur laisse en effet son jugement moral en suspens, jusqu'à la séquence finale qui ne se solde pas, comme ce serait le cas dans une comédie romantique plus conventionnelle, par la consommation de l'union qu'Irene veut imposer depuis le début à son protégé. Le ton enjoué de l'ensemble n'occulte pas pour autant le côté plus sombre de l'histoire, à travers le lent processus d'apprentissage de Godfrey, qui revient à la vie après un dépit amoureux, grâce à l'observation de ses employeurs, plus vains et capricieux les uns que les autres.
Le feu d'artifice magnifique des répliques hautement jubilatoires, qui fusent de tous les côtés, n'est rendu possible que par le jeu parfait d'un ensemble d'acteurs exceptionnel. Autour de l'interprétation posée, voire laconique, de William Powell, l'agitation générale gravite dans un tourbillon d'exubérance, mené avec panache par Carole Lombard, Alice Brady, et Mischa Auer.
Dommage alors que cette comédie sophistiquée soit aussi mal préservée, comme le montrent ces DVDs bon marché, fabriqués à la va-vite par des distributeurs mercantiles qui accaparent les oeuvres tombées dans le domaine public, ou cette copie en 16 mm à l'état pitoyable, qui est apparemment la seule dont les institutions cinématographiques disposent.

Revu le 19 mai 2010, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju, en VO

Note de Tootpadu: