Milou en mai

Milou en mai
Titre original:Milou en mai
Réalisateur:Louis Malle
Sortie:Cinéma
Durée:107 minutes
Date:24 janvier 1990
Note:
En mai ’68, la grand-mère d’une famille bourgeoise s’éteint paisiblement dans sa maison en province, où elle a vécu avec son fils aîné Milou. Il revient alors à ce dernier d’organiser l’enterrement, pendant que le pays est paralysé par des grèves et que le Quartier latin à Paris est en état de siège. Petit à petit, les membres de la famille, qui ne se sont pas vus depuis des années, arrivent. Le règlement de la succession et le partage des biens en trois parts égales paraît cependant plus les préoccuper que l’adieu à la doyenne ou l’embrasement de l’ordre social.

Critique de Tootpadu

Ah, ces réunions de famille à l’occasion plus ou moins triste d’un enterrement ou d’un mariage, où les convives sont censés se recueillir pieusement ou se réjouir en communion, mais où règne davantage un état d’esprit de règlement de comptes et de vieilles rancunes hâtivement réchauffées, qui se solde le plus souvent par une séance grotesque d’extirpation d’abcès cultivés à travers les générations ! Le cinéma se fait depuis longtemps un malin plaisir à examiner les travers du comportement humain dans ces circonstances exceptionnelles. Mais quiconque a déjà assisté aux funérailles d’un parent lointain saura certifier que pareilles dérives macabres surviennent bel et bien dans les décors annexes des cérémonies solennelles. Pour notre part, les agissements intéressés des membres de cette famille française typique reflètent parfaitement ceux guère plus convenables de nos propres oncles et tantes lors de l’enterrement de notre grand-mère du côté maternel, qui a dû avoir lieu à peu près au même moment que la sortie de ce petit chef-d’œuvre.
Or, le regretté Louis Malle est bien plus qu’un observateur averti d’une réalité qui relève après tout de la banalité. Par son écriture poignante et un sens de l’humour pas loin de la satire acerbe, il sublime ces quelques jours de crise à la fois intimiste et globale en un récit bucolique par excellence. Chaque personnage y répond simultanément à sa vocation initiale, en tant que représentant faussement caricatural d’une catégorie sociale de la France d’alors, et à un dessein plus vaste du scénario, qui vise justement à démolir cet aperçu sommaire pour mettre en avant le côté humain, forcément imparfait, de chacun d’entre eux. Dans cette mécanique de la mise à nu des faiblesses et des désirs enfouis, la motivation de ces retrouvailles passe vite à l’arrière-plan. Le cadavre mis en berne dans la bibliothèque devient alors au mieux le témoin imperturbable des vieilles certitudes et alliances qui se défont au fur et à mesure que le corset social est dynamité par les influences extérieures.
L’interaction entre le havre de paix supposé de la demeure familiale en deuil et l’agitation apocalyptique qui s’empare de tout le pays est peut-être le point cardinal de la brillance de Milou en mai. Après avoir rendu hommage à la vieille France par le biais d’une farandole que l’on ne s’étonnerait pas de trouver chez Jean Renoir et un petit jeu pervers qui lorgne plutôt du côté de Luis Buñuel, le récit entame en effet une parenthèse utopiste qui souligne merveilleusement le décalage entre ces gens de bonne famille et les préoccupations qui secouaient réellement le pays en ce mois d’une révolution possible. Le doux rêve et la paranoïa s’y entrechoquent évidemment et le constat final laisse sous-entendre qu’après le sursaut passager de la jeunesse, tout restera inchangé.
Périodiquement, le cinéma nous gâte avec ces réunions de famille jubilatoires, qui réconfortent notre propre point de vue ambigu à l’égard de cette institution sociale. Une fois par décennie, il arrive d’en trouver des exemples parfaits, comme celui-ci, ainsi qu’avant lui Un mariage de Robert Altman et après Festen de Thomas Vinterberg et L’Heure d’été de Olivier Assayas.

Vu le 20 mars 2011, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju

Note de Tootpadu: