Vagabond de Tokyo (Le)

Vagabond de Tokyo (Le)
Titre original:Vagabond de Tokyo (Le)
Réalisateur:Seijun Suzuki
Sortie:Cinéma
Durée:83 minutes
Date:00 1966
Note:
Le vieux chef de gang Kurata s’est retiré des affaires. Il gagne désormais sa vie dans l’immobilier, au grand dam de son protégé Tetsu le Phénix, un yakuza qui est obligé de subir docilement les provocations du clan ennemi Otsuka. Quand Kurata ne peut pas payer à temps la traite d’un immeuble qui lui appartient à Tokyo, son adversaire tend un piège à son financier et se procure ainsi frauduleusement le titre de propriété. Pour éviter que la situation s’envenime et que Tetsu devienne la cible des hommes de main d’Otsuka, Kurata l’envoie en cachette à la campagne.

Critique de Tootpadu

Accrochez-vous pour vous retrouver dans tous les revirements et les ellipses narratives qui rendent ce film de gangster japonais aussi brut que rafraîchissant ! Le réalisateur Seijun Suzuki ne fait pas de cadeau au spectateur peu familier de cette forme d’un récit en apparence décousu et superficiel, mais qui sait accéder par petites touches à une abstraction presque sublime. Le développement progressif des personnages n’y revêt pas plus d’importance que la cohérence dans le temps et dans l’espace de cette histoire de yakuzas qui serait plutôt banale, si elle n’était pas traitée avec une telle liberté formelle. Au moins indirectement influencé par le mouvement contestataire de la Nouvelle Vague, Le Vagabond de Tokyo avance à toute vitesse et avec une désinvolture stylistique qui se moque gaiement du carcan restrictif de la logique dramatique la plus basique.
Il n’y a en effet pas grand-chose à comprendre dans ce ballet incessant de facettes, qui s’entrechoquent avec plus ou moins de violence pour accentuer encore les stéréotypes dont le récit regorge. La profusion des couleurs marquantes et l’abondance des compositions de plan soigneusement recherchées pourraient même donner l’illusion que la mise en scène s’emploie à orchestrer un opéra grandiloquent du crime. Sauf que la structure fortement morcelée de l’histoire ne s’appuie point sur un souffle épique, mais au contraire sur un désordre contrôlé, capable de chahuter assez nos habitudes de réception du flux narratif pour qu’on reste constamment sur nos gardes. Ce genre d’économie des moyens, qui est en quelque sorte le revers flamboyant de la médaille de l’austérité, produit ici une pureté avant-gardiste presque fière de ne pas trop se préoccuper du maintien de la tension dramatique, largement absente en dépit de quelques sursauts mélodramatiques.
Tout n’est par conséquent qu’apparence, pose, et réaction, comme un immense défilé de ce qui rend le film de gangster aussi viscéral. Aucun sentiment d’urgence ne ressort des pérégrinations de Tetsu le Phénix – l’équivalent cinématographique d’une icône de l’impassibilité suprême – et pourtant, l’enchaînement fiévreux des alliances qui se font et se défont sans le moindre cérémoniel dégage une nervosité stylistique entièrement fascinante. Il manque sans doute de la substance à ce film surprenant. Rien que sa vigueur formelle, qui fait justement fi d’une rigueur trop calibrée d’avance, a néanmoins suffi pour nous intriguer amplement.

Vu le 14 décembre 2011, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju, en VO

Note de Tootpadu: