Woody et les robots

Woody et les robots
Titre original:Woody et les robots
Réalisateur:Woody Allen
Sortie:Cinéma
Durée:82 minutes
Date:05 juin 1974
Note:
En 2173, des médecins opposés au système totalitaire du grand chef réveillent Miles Monroe, un clarinettiste amateur de Greenwich Village, endormi contre son gré deux siècles plus tôt suite à une opération qui s’était mal passée. Grâce à cet homme venu d’une autre époque et pas encore fiché par les systèmes de reconnaissance, les résistants espèrent en savoir plus sur un projet secret que le gouvernement prépare. Alors que Miles se requinque à la campagne, ses bienfaiteurs sont arrêtés et leurs cerveaux reprogrammés. Le cobaye du passé réussit à s’enfuir et trouve refuge en tant que robot domestique chez la poète Luna Schlosser.

Critique de Tootpadu

Alors que Woody Allen poursuit imperturbablement depuis des décennies son rythme impressionnant d’un film par an, dont la plupart ne font que ressasser des formules et des thèmes affinés au fil du temps, il devient facile d’oublier qu’à ses débuts justement, le jeune réalisateur faisait preuve d’une fraîcheur et d’une ingéniosité comique que l’on cherche en vain chez le vieux routier, encroûté dans ses lubies et ses phobies. Son quatrième film, Woody et les robots, constitue dans ce contexte un premier condensé ébouriffant, qui rend d’une façon décomplexée hommage aux pionniers de l’humour au cinéma, tout en laissant libre cours à la plume acerbe du scénariste Allen, heureusement moins platement vulgaire ici que dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe. Et, cerise sur le gâteau, le budget très réduit du film n’empêche pas ce dernier d’ouvrir quelques pistes de réflexion précieuses sur la constitution d’une mémoire collective.
Avant que Woody Allen ne s’engage dans le cercle vicieux et artistiquement asphyxiant des références appuyées, d’abord à son idole Ingmar Bergman et puis, d’une certaine manière, à lui-même, il avait traversé une période de comédies assez libres dans le choix de leur ton. Jamais cet éclectisme de l’humour ne s’était conjugué plus joyeusement que dans ce film-ci, où quelques éléments tatiesques, notamment en rapport avec les pièges d’un mobilier futuriste, co-habitent sans la moindre gêne avec un burlesque plus proche de Keaton, voire avec des influences de quelques films plutôt récents à l’époque de Charles Chaplin, comme l’ancien révolutionnaire rendu complètement inoffensif grâce au lavage de cerveau que l’on avait pu voir dans Un roi à New York. Et comment ne pas penser au maladroit suprême que Peter Sellers interprétait dans La Party de Blake Edwards, quand le robot de pacotille doit affronter dans la maison entièrement automatisée de Luna une série d’engins réticents à un usage inadapté ?
Le goût pour l’absurde transparaît également à travers une intrigue, qui ne se soucie guère de la logique, pour mieux festoyer dans une multitude de gags pas forcément dépourvus d’implications philosophiques. Ainsi, la réinterprétation très subjective de son Histoire contemporaine par le dormeur en phase de mise à jour relève autant du précepte des vainqueurs – ou tout au moins de ceux qui étaient présents à cette époque lointaine, quitte à la voir d’un œil fortement décalé – que le revirement total de l’idéologie nutritionnelle, qui prônerait désormais les bienfaits de la malbouffe. L’auto-dérision du personnage principal est de même présent, sans que cette flagellation verbeuse ne ressemble encore aux jérémiades d’un vieil homme aigri.
Enfin, malgré des moyens très restreints, qui rappellent l’esthétique d’une autre épopée de science-fiction capable de créer l’illusion avec trois bouts de ficelle, Dark star de John Carpenter produit presque en même temps, et en dépit d’un cadrage perfectible qui laisse régulièrement les micros pencher dans le champ – à moins que cet inconvénient soit dû à un format de projection clairement trop carré, sans parler des sept minutes de film disparus on ne sait où –, nous tenons là le premier petit chef-d’œuvre d’une longue et illustre carrière, qui n’a hélas jamais par la suite osé être aussi insouciante et joyeuse.

Vu le 3 juin 2012, au Champo, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: