Plus sauvage d'entre tous (Le)

Plus sauvage d'entre tous (Le)
Titre original:Plus sauvage d'entre tous (Le)
Réalisateur:Martin Ritt
Sortie:Cinéma
Durée:112 minutes
Date:13 septembre 1963
Note:
Tôt le matin, le jeune Lonnie est envoyé en ville par son grand-père Homer Bannon afin de ramener son oncle Hud, parti une fois de plus faire la bringue toute la nuit et s’amuser avec les femmes mariées de cette bourgade texane. Le vieux patriarche a besoin du conseil de son fils indigne, suite à la mort subite d’une génisse. Mais Hud ne se préoccupe guère de la ferme familiale. Quand le vétérinaire officiel met l’exploitation en quarantaine, en attendant les résultats qui ne présagent rien de bon, il cherche même à forcer son père à la retraite. Tandis que Lonnie est dupe des grands airs de son oncle, la gouvernante Alma se méfie depuis longtemps de cet homme sans principes.

Critique de Tootpadu

Aucune fausse note n’est à déplorer dans cette adaptation magistrale du premier roman de Larry McMurtry. Toute l’amertume et la nostalgie qui allaient refaire surface une dizaine d’années plus tard dans La Dernière séance de Peter Bogdanovich, une autre adaptation majeure de l’écrivain, y sont déjà à l’œuvre afin de brosser le portrait nullement complaisant d’une campagne américaine qui court à sa perte. Car derrière le sort d’une famille tronquée qui s’entre-déchire gronde une parabole puissante sur l’Amérique toute entière, en pleine mutation de la génération des pères, attachée immuablement aux valeurs du passé, à celle des fils, plus pragmatique mais aussi plus cruelle. Dans la lignée directe de James Dean, Paul Newman campe ici un de ses rôles les plus mémorables : celui d’un fêtard indécrottable et sans scrupules, qui use et abuse de son charme pour parvenir à ses fins peu recommandables. C’est l’antihéros par excellence, au détail près que la mise en scène d’une précision extraordinaire de Martin Ritt ne se gêne point pour le démasquer comme la vermine humaine qu’il est réellement, dépourvue d’un point d’attache qui nous le rendrait sympathique au-delà de sa nonchalance incommensurable.
Le scénario, lui aussi d’une densité impressionnante, ne s’évertue pourtant pas à se lamenter sur le déclin irréversible des mœurs et sur les traditions en voie de disparition, ressuscitées d’une façon tout à fait éphémère lors de la chanson avant la séance de cinéma, par exemple. La plume incisive du couple de scénaristes Harriet Frank Jr. et Irving Ravetch s’emploie plutôt à former un carré de relations tendues entre les quatre personnages principaux : ils sont tous hantés par leurs démons, tous en proie à la nostalgie du passé ou au vague à l’âme d’un avenir incertain, et surtout tous incapables de faire fonctionner au quotidien la vie à la ferme avec cet électron libre de Hud. La fièvre aphteuse des bêtes n’y est que la partie visible d’un processus de décrépitude, qui se soldera par l’éclatement aussi résigné qu’irréversible de la cellule familiale recomposée. Or, ce n’est pas parce qu’une véritable présence féminine – autre que cette gouvernante à tout faire qui doit être à la fois la mère, la sœur et l’amante involontaire, si elle ne soutire pas en jouant aux cartes leur salaire durement gagné aux saisonniers – manque à ce microcosme à couteaux tirés que la vie commune est quasiment impossible. La tragédie à l’envergure grecque qui s’abat sur le clan Bannon est avant tout due à l’éternel conflit entre les générations, qui campent sur leurs positions au lieu de chercher un terrain d’entente.
Malgré l’odeur pestilentielle que cette histoire de décrépitude devrait véhiculer, elle dégage une sensualité folle, comme si la sobriété désenchantée du Texan Larry McMurtry se mélangeait avec la moiteur viscérale de Tennessee Williams. Sous l’œil de la magnifique photographie en noir et blanc de James Wong Howe et accompagnées très discrètement par une bande originale parcimonieuse de Elmer Bernstein, les passions se déchaînent par conséquent sans autre issue que le départ et le vagabondage à travers les plaines arides de cette Amérique, qui crée ses propres mythes à partir de drames aussi appliqués et virtuoses que celui-ci.

Revu le 3 janvier 2013, au Reflet Médicis, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: