Fruitvale Station

Fruitvale Station
Titre original:Fruitvale Station
Réalisateur:Ryan Coogler
Sortie:Cinéma
Durée:85 minutes
Date:01 janvier 2014
Note:

Au petit matin du jour de l’an 2009, Oscar Grant se trouve au cœur d’une altercation avec des vigiles du métro de San Francisco à la station Fruitvale. Ce jeune homme de vingt-deux ans, père d’une fille et décidé de remonter la pente après une peine de prison pour trafic de drogues, devenait alors malgré lui le symbole de l’injustice policière aux Etats-Unis.

Critique de Tootpadu

Pour un film en apparence si simple et si émotionnellement dévastateur, Fruitvale Station représente deux défis auxquels nous ne sommes que rarement confrontés pour rédiger nos chroniques. En premier, le risque de trop en dévoiler, et d’atténuer ainsi l’impact de ce film remarquable. Et en deuxième, la tâche épineuse de trouver un point d’appréciation juste à travers une histoire que l’on pourrait facilement discréditer comme une manœuvre de séduction, voire de manipulation trop voyante. Nous nous efforcerons de contourner le piège des révélations, tout en essayant de mieux comprendre les mécanismes de narration d’un premier film prodigieux. Car c’est avant tout de cela qu’il s’agit : d’une belle leçon d’humanité, aussi sincère et humble que paraît l’être le jeune réalisateur Ryan Coogler.

L’intrigue du film ne fonctionne a priori pas par le biais du suspense. Alors que l’affaire sinistre de Fruitvale Station n’a peut-être pas fait assez de bruit en dehors des Etats-Unis pour atteindre le niveau d’un fait historique reconnu à l’internationale, les premières images du film nous montrent ce qui s’y est passé en cette soirée fatidique. De toute façon, l’objectif principal du film n’est point de pleurer les morts, mais de célébrer la vie et tous les projets, bons et mauvais sans distinction, qui lui sont inhérents. La logique de la narration n’est par conséquent pas celle du compte à rebours, mais au contraire celle d’un épanouissement éphémère dans l’instant présent. Savoir d’emblée ce qui va advenir de Oscar Grant ne dispense pas le spectateur de souscrire au contrat très noble que lui offre le film, de mieux connaître cet homme ordinaire de son vivant.

La touche suprême de la mise en scène est en effet de montrer le protagoniste comme un homme imparfait, souvent bien intentionné mais tout aussi régulièrement en proie aux facilités mensongères d’une existence désordonnée et criminelle. L’offensive de charme avec laquelle l’acteur Michael B. Jordan nous assaille très rapidement court constamment le risque d’expédier irrémédiablement le film du côté de la parodie de l’Afro-Américain vertueux, une sorte de Sidney Poitier du XXIème siècle, tatoué et magouilleur, mais en même temps un père et un ami sans reproche. L’ambiguïté du propos du film nous épargne heureusement pareille dérive. De même, le fait de cantonner l’incident du métro aux dernières minutes du film en fait davantage un hommage bouleversant à l’homme, au lieu de poser comme un pamphlet tendancieux contre les dérives des forces de l’ordre californiennes, qui jouissent hélas d’une réputation désastreuse en termes de racisme.

Ceci dit, cette forme de discrimination passe discrètement à l’arrière-plan au fil d’une histoire qui s’emploie plutôt à promouvoir sa propre conception de la tolérance et du respect. Le personnage principal a ainsi beau être un ex-taulard, un menteur et un fils indigne, ces mots sont aussi insuffisants pour cerner entièrement sa personnalité que les clichés sur ses origines et son environnement social. Certes, Oscar Grant a sans doute été tout cela, comme chacun d’entre nous a son jardin secret dans lequel il cultive des méfaits et des défauts de caractère plus ou moins avouables. Mais la prouesse du film – et accessoirement un testament magnifique à ce jeune adulte plein de promesses compromises, qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment – est d’oser voir au-delà des apparences et, surtout, de se refuser à tout jugement pour mieux nous dévoiler l’homme banal derrière le fait divers.

 

Vu le 2 septembre 2013, au C.I.D., Deauville, en VO

Note de Tootpadu: