Prix du danger (Le)

Prix du danger (Le)
Titre original:Prix du danger (Le)
Réalisateur:Yves Boisset
Sortie:Cinéma
Durée:98 minutes
Date:26 janvier 1983
Note:

Alors qu’il n’en est qu’à sa troisième émission, le jeu « Le Prix du danger » galvanise les foules de téléspectateurs à travers l’Europe. Une semaine sur deux, le samedi soir, un candidat unique doit y échapper à ses poursuivants qui ont le droit de le tuer. S’il survit jusqu’à la fin de l’émission, il empochera un million de dollars. Le chômeur François Jacquemard est l’heureux élu des producteurs de la chaîne CTV pour tenter sa chance lors de la prochaine émission. Bien que l’activiste Elisabeth Worms cherche à faire interdire légalement le spectacle à la dernière minute et que la copine de François appréhende cette course contre la montre et la mort, le présentateur charismatique Frédéric Mallaire est certain de tenir là un de ses meilleurs candidats jusque là. En effet, François a acquis une telle popularité en amont de l’émission que le directeur de la chaîne envisagerait presque de le laisser gagner.

Critique de Tootpadu

L’esthétique n’est plus de notre époque, où le contenu publicitaire passe davantage par de l’esbroufe visuelle que par des danseuses un peu gauches, mais sinon, le propos de cette satire cinglante n’a pas pris une ride. Pire encore, comme son semblable dans le domaine des farces médiatiques sans ménagement Network de Sidney Lumet, ce film se distingue par une modernité effrayante, anticipant avec panache et nihilisme toutes les dérives qui rendent la télévision si insupportable de nos jours ! Ce qui a dû paraître, il y a trente ans, comme de l’utopie pessimiste et extrême n’est plus si loin de la vocation principale de la télé-réalité actuelle, ce phénomène de mode infecte qui cherche à faire gober au spectateur l’abolition de la frontière entre la vie et la fiction, entre l’exception et la banalité. Seule la diversité des supports, qui va de pair avec le morcellement des audiences, nous permet dès lors d’échapper à cette fâcheuse concentration du pouvoir de manipulation, que dénonce si magistralement Le Prix du danger.

Plutôt conventionnelle dans la forme, la mise en scène de Yves Boisset ne tarde pas à nous subjuguer par la noirceur de son propos. Le cynisme est roi au sein d’un récit, dont la lucidité consiste précisément à dévoiler tous les rouages du système pour se résoudre in extremis au caractère inévitable de son fonctionnement, pour le peuple et par lui. Le scénario très dense s’emploie ainsi à explorer toutes les pistes qui pourraient mener à la libération d’un joug, fait d’une crise économique qui s’installe et d’un manque de perspectives auquel seule la soumission aux règles tendancieuses du jeu offre l’espoir d’une issue. Néanmoins, l’assouvissement des instincts les plus bas s’avérera plus fort face à ces bonnes intentions, qui se briseront invariablement à la promesse d’une expression libre de violence et de haine sans risque de répercussion pénale. Le protagoniste du film tentera de percer à jour l’absurdité de ce statu quo inhumain, pour se retrouver malgré lui à l’écart de la surenchère de sensations viles. Ce sont au contraire les profiteurs qui remporteront la mise – et qui perdront définitivement leur âme – dans ce règlement de compte jouissif avec la conception d’un monde maladivement préoccupé par l’argent et la popularité.

Le jeune Gérard Lanvin a beau dégager la fraîcheur à la fois innocente et rebelle qui sied parfaitement à son rôle principal, ce sont avant tout les personnages secondaires de Marie-France Pisier et de Michel Piccoli qui nous ont enthousiasmés. La première a rarement été plus belle et pourtant investie d’une gangrène morale, qui aura raison des scrupules passagers de la productrice qu’elle interprète, une femme qui redoute le côté monstrueux de sa création. Le deuxième représente admirablement toute l’hypocrisie et la superficialité, non seulement de la profession de présentateur de télé, mais plus globalement de notre rapport à l’image jetable et sans valeur, à laquelle nous sommes désormais confrontés du matin jusqu’au soir.

 

Vu le 26 septembre 2013, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju

Note de Tootpadu: