Fille de Ryan (La)

Fille de Ryan (La)
Titre original:Fille de Ryan (La)
Réalisateur:David Lean
Sortie:Cinéma
Durée:196 minutes
Date:23 décembre 1970
Note:

En 1916, alors que la guerre fait rage sur le continent, l’Irlande sous l’occupation anglaise est contrainte à l’oisiveté. Rosie, la fille unique du tenancier de bar Thomas Ryan, ne s’intéresse pas à la politique. Elle préfère rêver de l’homme de sa vie : l’instituteur Charles Shaughnessy, un veuf sensiblement plus âgé qu’elle, mais le seul à faire preuve d’éducation et d’intérêts culturels dans le petit village près de la côte. En dépit de ses doutes initiaux, Shaughnessy accepte d’épouser Rosie. L’ennui de la vie conjugale pèse sur la jeune femme ambitieuse, quand l’arrivée du commandant Doryan, un invalide de guerre qui sera en charge de l’avant-poste anglais, éveille en elle des sentiments charnels qu’elle n’osait pas assouvir jusque là.

Critique de Tootpadu

Les deux versants de l’amour, aussi éternels qu’universels, s’entrechoquent avec une grâce inouïe dans l’avant-dernier film de David Lean. La sensualité et les sentiments, la libido et le cœur y traversent des torrents romantiques d’une beauté enivrante, qui connaissent pourtant un dénouement en demi-teinte. La Fille de Ryan est sans aucun doute un chef-d’œuvre du romantisme à l’état pur, l’orgie d’un symbolisme mélodramatique dont l’excès visuel n’est relativisé que par son propos d’une lucidité dégrisante. Le réalisateur y excelle une fois de plus dans le mariage de raison entre l’idéalisme de la forme, plus sublime que jamais, et une conception plutôt réaliste de la condition humaine, complexe et presque laide dans son imperfection récurrente.

La première partie de cette épopée baroque fait preuve d’une richesse presque démesurée en termes de trouvailles visuelles, qui servent toutes à véhiculer de la façon la plus subtile possible le cheminement sentimental du personnage principal. Que ce soient les nombreuses variations sur les traces de pas dans le sable ou l’inclusion du décor naturel tout à fait majestueux de l’Irlande pour rythmer le récit, le langage imagé de la narration atteint un degré d’intensité et de poésie, qui décuplent le sens de l’utopie romantique à laquelle la femme-enfant Rosie adhère encore à ce moment-là. Malgré quelques aspects déplaisants de cet environnement brut, dont le plus ambigu est bien sûr le personnage tragique de Michael, cette figure estropiée par laquelle le scandale arrive en quelque sorte jusqu’au village, mais qui constitue en même temps l’âme tourmentée de cet endroit problématique, Rosie persiste à voir sa vie en rose, aux côtés d’un homme instruit qui continue à la traiter comme la petite princesse gâtée que son père a élevée.

Or, cette vie rangée, basée sur le respect et l’amour sage qui va de pair avec la forme traditionnelle du mariage, finit par étouffer le personnage principal. Et si, au lieu de cet amour pudique et attachant, cette femme au bord de l’émancipation avait rêvé depuis le début à une forme plus érotique de l’assouvissement de ses désirs d’une vie à deux ? Cet orage sexuel s’abat sans crier gare sur elle, dès cette première rencontre avec son amant dans le pub de son père, qui coïncide avec la première fois que cette attirance est déclenchée chez Rosie par le sentiment que l’autre a réellement besoin d’elle. Le commandant Doryan est plus qu’un fantasme sexuel. A travers son statut d’ennemi héréditaire et son invitation à l’adultère, il est le vecteur de l’interdit qui permettra à l’épouse de l’instituteur de s’affranchir de toutes les conventions qui vont à l’encontre de ses aspirations de liberté. Les moments éphémères de bonheur sexuel qu’elle vivra dans ses bras correspondent à l’exorcisme trivial des frustrations d’une ménagère, qui n’arrive pas à s’enthousiasmer pour la collection de fleurs mortes de son mari, solide mais terne.

Le retour de bâton ne se fait pas attendre, puisque après l’entracte, le ton change sensiblement. Finis les envolées lyriques et les rêves devenus réalité, d’abord celui de la stabilité et puis celui du coup de foudre déraisonnable. Dès lors, l’heure est aux règlements de compte des écarts de conduite qui avaient conféré au film un tel panache esthétique. Il serait alors facile de déceler pendant cette deuxième partie du film un essoufflement de la maestria épique de David Lean. Ce serait pourtant mal connaître l’œuvre d’un de nos réalisateurs de chevet, qui laisse presque toujours la réflexion suivre à l’exaltation. En dehors de quelques citations explicites à ses films précédents, comme l’arrivée de Doryan dans le village à bord du véhicule qui rappelle certains aspects militaires de Lawrence d’Arabie ou l’un des derniers plans de Rosie qui fait écho à celui de Lara dans le tramway dans Le Docteur Jivago, David Lean reste en effet étroitement fidèle ici à sa philosophie d’un cynisme modéré. Ce dernier n’invite guère à l’enthousiasme. Il constitue par contre le contrepoids parfait à une expression formelle simplement hors pair.

 

Revu le 30 septembre 2013, au Cinéma des Cinéastes, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: