Une chambre en ville

Une chambre en ville
Titre original:Une chambre en ville
Réalisateur:Jacques Demy
Sortie:Cinéma
Durée:94 minutes
Date:27 octobre 1982
Note:

En 1955, les ouvriers sont en grève à Nantes. La baronne Langlois est surprise de voir parmi les manifestants, qui affrontent la police en bas de chez elle, son sous-locataire François Guilbaud. Celui-ci est en couple avec la vendeuse Violette, qui veut l’épouser alors que lui, il ne l’aime pas. En ces temps tumultueux, la baronne reçoit la visite de sa fille Edith qu’elle n’a pas vue depuis son mariage avec le marchand de télés Edmond Leroyer. Profondément malheureuse auprès de son mari jaloux et impuissant, Edith espère que les cartes de sa voyante ont dit vrai et qu’elle trouvera l’amour auprès d’un métallurgiste.

Critique de Tootpadu

Une comédie musicale de Jacques Demy sans la musique de Michel Legrand, cela n’a plus rien à voir avec les deux, trois chefs-d’œuvre de ce duo mythique. Les décors fortement colorés y sont encore, ainsi que le goût prononcé du réalisateur pour le mélodrame romantique. Cet emballage très kitsch nous a sans doute enthousiasmé disproportionnellement lors de notre découverte d’Une chambre en ville, il y a plus de vingt ans, quand tout ce qui était en français nous paraissait désirable et sophistiqué. La triste vérité est toutefois que la partition de Michel Colombier n’est nullement à la hauteur des ambitions d’un film, qui veut faire revivre la force nostalgique de la lutte ouvrière d’antan, au moment même où la France toute entière est encore enivrée par les débuts de la première présidence socialiste de cette république-ci. Au lieu de côtoyer les sommets d’un genre déjà tombé en désuétude dans les années 1980, cette comédie musicale se trouve, rétrospectivement, au carrefour inconfortable entre le passé et notre présent, à la fois d’un point de vue musical et dans la filmographie de Jacques Demy.

Une comédie musicale réussie, ce sont des couleurs et de grands sentiments, transmis à travers une musique entraînante et des danses virevoltantes. Quand on en sort, on est censé fredonner les chansons les plus emblématiques, qui ne nous quittent plus pendant quelques heures, voire quelques jours. Tandis que l’absence de numéros dansés ne nous paraît point préjudiciable dans le cas présent, la pauvreté de la trame musicale tire irrémédiablement le récit vers le bas. Pire encore, la musique dans son ensemble anticipe indirectement la mode actuelle des spectacles théâtraux, qui se basent presque exclusivement sur des chansons interchangeables et ternes. En plus, les quelques effets de style typiques de cette époque, entièrement soumise à l’artifice du synthétiseur, dénotent désagréablement avec la période au cours de laquelle l’intrigue est censée se dérouler.

Toutes ces imperfections ne pèseraient pas si lourd, s’il s’agissait du film d’un tâcheron, qui singerait simplement la grande tradition de Jacques Demy. Mais puisque c’est le maître en personne qui livre ce persiflage bancal, il convient de regretter cet écho misérable en guise de fin de carrière guère jubilatoire. A l’exubérance parfaite des Demoiselles de Rochefort répond ici le retour infiniment plus tragique de deux comédiens, qui reprennent en quelque sorte leurs rôles. D’un côté, Danielle Darrieux à qui l’on n’en voudra nullement d’être presque en permanence dans un état second, sans doute parce qu’elle est dépitée que la cruauté du cinéma à l’égard des actrices lui impose d’avancer d’une génération pendant que son amant d’autrefois est désormais marié avec sa fille. Et de l’autre Michel Piccoli, le marchand de musique délicat et animé d’un souvenir romantique qui s’est transformé en vil réparateur de télés, affublé de couleurs disparates qui expriment tout le désarroi de son personnage.

Le seul rayon de soleil dans cette bouillie mélodramatique est le jeune Richard Berry, qui n’a jamais été plus beau et séduisant. C’est hélas trop peu – d’autant plus que sa voix est doublée – pour nous réconcilier avec cette resucée à la conclusion ridicule, qui nous permet au moins d’apprécier encore davantage la contribution du compositeur Michel Legrand au cinéma de Jacques Demy.

 

Revu le 11 novembre 2013, au Reflet Médicis, Salle 2

Note de Tootpadu: