Nebraska

Nebraska
Titre original:Nebraska
Réalisateur:Alexander Payne
Sortie:Cinéma
Durée:115 minutes
Date:02 avril 2014
Note:

Le vieux Woody Grant a reçu une publicité lui annonçant qu’il aurait gagné un million de dollars. Persuadé qu’il s’agit d’un gain réel, le vieillard n’arrête pas de partir de chez lui à pied, en route pour la ville de Lincoln dans l’état de Nebraska, afin d’y retirer personnellement son lot. Tandis que sa femme Kate désespère face à cette idée fixe, son fils cadet David accepte finalement de le conduire. Il espère ainsi changer d’air et passer un peu de temps avec son père avant qu’il ne soit trop tard.

Critique de Tootpadu

Le cynisme selon Alexander Payne avait tendance à nous déprimer ces derniers temps. Voir la vie tout en noir, avec ses revers impitoyables et ses pauvres héros ridicules, cela dispose sans doute d’une certaine légitimité dans le monde du cinéma, où la vie en rose est bien plus souvent à l’ordre du jour. Mais de là à faire un film après l’autre sur la ringardise de l’Américain moyen, voire sur une culture toute entière et sa propension à être bête et égoïste, le réalisateur courait le risque de se répéter dans son aigreur sans complaisance. Nous sommes donc particulièrement ravis de le retrouver enfin au meilleur de sa forme, avec son film le plus abouti depuis L’Arriviste. Les quelques piques de méchanceté qui rendent Nebraska encore plus savoureux ne doivent toutefois pas nous tromper sur la nature profonde de ce beau film : un drame familial bouleversant et singulier justement parce qu’il s’identifie sans réserve avec une banalité désarmante.

Tourné dans un noir et blanc splendide, le film rappelle l’esthétique de La Dernière séance de Peter Bogdanovich. L’austérité campagnarde y est également mise au service d’un regard mi-émerveillé, mi-ennuyé par les champs qui s’étendent à perte de vue. Le décor naturel de l’Amérique profonde – celle que l’on survole ou dans laquelle on se perd par mégarde, craignant d’y tomber victime d’un tueur en série ou, pire encore, de quelques ploucs réactionnaires – fournit l’arrière-plan quasiment neutre d’une histoire qui l’est déjà beaucoup moins. Ce sont en effet les personnages qui le peuplent qui décident de sa signification. Contrairement au conte nostalgique du début des années 1970 précité, lorsque la jeunesse était certes désœuvrée et désillusionnée, mais au moins présente, elle n’apparaît plus du tout ici. Il y a le jeune photographe qui vient prendre Woody en photo pour le journal local, soit, mais sinon tous les personnages reflètent un vieillissement de la population rurale, qui est peut-être plus désespérant que tous les portraits de bobos vaniteux que Alexander Payne nous avait pondus jusque là.

Pour pallier à cette sensation de fin de cycle, la génération des fils propose un niveau de réconfort plutôt bas à ses parents. Ces derniers perdent la boule et n’ont plus de but dans la vie, pendant que leur horloge biologique continue à avancer sans répit. Or, la différence est la plus grande, quoique seulement abordée en passant, du côté de la vie conjugale, qui fonctionnait jadis selon des règles trop simples pour les couples d’aujourd’hui. La dimension familiale du film, avec cette incapacité universelle de communiquer et la lente inversion des rôles, brille ainsi par sa justesse. Elle devient même enthousiasmante, lorsqu’elle explore le lien ténu entre le passé commun et un présent où tout le monde fait essentiellement ce qui lui plaît. Nous faire ressentir que les personnages partagent une vie d’avant le film, tout en montrant délicatement qu’il n’en reste désormais plus que quelques gestes maladroits d’affection ou de rejet pour préserver la cohésion familiale constitue un exploit filmique que le réalisateur relève haut la main.

 

Vu le 3 février 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Difficile pour un réalisateur comme Alexander Payne, dont les films semblent plutôt s’adresser à un public purement américain, de susciter un véritable intérêt dans l’Hexagone. En tout cas, il suffit de jeter un rapide coup d’œil à la filmographie du cinéaste pour comprendre qu’il affectionne particulièrement les road-trips. ll décide de renouveler l’expérience avec Nebraska, récit à la fois mélancolique et comique du voyage d’un vieil homme acariâtre et alcoolique qui tente inlassablement de traverser quatre Etats afin d’empocher un million de dollars. Accompagné de son fils qui ne souhaite que passer du temps à ses côtés, le vieux Woody tente ainsi de donner un sens à sa vie. En plus de permettre un rapprochement familial, cette escapade sera également l’occasion d’un retour aux sources lorsque David conduit son père dans la petite ville dans laquelle il est né et où il a grandi.

Ici, le regard que porte Alexander Payne sur ses compatriotes est partagé entre cynisme et tendresse, et parait en tout cas moins moqueur que celui qu’il offrait dans ses précédents longs-métrages. Certes, il n’hésite pas à dépeindre certains habitants de cette Amérique profonde de manière très péjorative, comme le prouvent les deux cousins de David, parfaites incarnations des stéréotypes de la population white trash. Pourtant, le film insiste aussi sur la tristesse et la misère d’une ville frappée de plein fouet par la crise économique, et qui passe ses journées à boire pour oublier sa misère. De plus, en mettant en scène une majorité de personnages (très) âgés, Payne nous présente une population obligée de finir ses jours en se raccrochant à ses vieux souvenirs. Ainsi, les nombreuses anecdotes de Woody ou de sa femme Kate parviennent à transmettre au spectateur toute leur nostalgie. C’est le cas lorsque le vieil homme redécouvre la maison dans laquelle il a vécu étant enfant, mais également lors de scènes au ton plus léger. On pense par exemple à celle où Kate, en allant se recueillir sur les tombes des habitants de la ville, crache son venin sur certains d’entre eux.

Les points positifs de ce long-métrage ne manquent pas. Le travail du directeur de la photographie Phedon Papamichael doit être salué : le très beau noir et blanc met parfaitement en avant les paysages qui défilent au rythme des personnages. Ces derniers temps, trop de films usent du noir et blanc à des fins esthétisantes mais sans jamais vraiment trouver de réelle justification. Ce n’est pas le cas de Nebraska. Toutefois, ce que l’on retient avant tout, c’est sans doute le jeu des acteurs. Bruce Dern incarne à la perfection ce rôle plein de détresse et d’espoir, tandis que June Squibb brille dans son interprétation de cette drôle de vieille femme. Finalement, malgré un sujet très américain et un scénario assez cruel qui contraint Woody à faire une croix sur ses illusions, Alexander Payne signe un drame empreint d’humour, de douceur mais également d’une certaine poésie, qu’il ne faut rater sous aucun prétexte.

Vu le 3 février 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Noodles:

Critique de Mulder

« I can't say that Im sorry for the things that we done. At least for a little while sir me and her we had us some fun” Bruce Springsteen -  Nebraska

 “He just needs something to live for.” Nebraska

Alexander Payne en dix-sept années n’a réalisé que six films (Citizen Ruth (1996), L’arriviste (1999), Monsieur Schmidt (2002), Sideways (2004), The Descendants (2011)) pourtant chacun de ces films est pratiquement un joyau par son scénario  (qu’il cosigne hormis celui-ci), sa direction d’acteurs et surtout pour donner à de grands comédiens des rôles bouleversants (Laura Dern, Reese Witherspoon, Jack Nicholson, Kathy Bates, Paul Giamatti, Thomas Haden Church, George Clooney, Bruce Dern, Will Forte). Auréolé de plusieurs récompenses récoltées au travers de différents festivals dont plusieurs prix d’interprétation pour Bruce Dern (Festival de Cannes 2013, Los Angeles Film Critics Association Awards 2013, National Board of Review Awards 2013), c’est pratiquement quatre mois après sa sortie américaine que ce film sort enfin sur nos écrans.

Neuf années se sont donc écoulées entre le moment où le réalisateur a reçu le scénario et le moment où le film voit enfin le jour. Le réalisateur participe activement au montage de chacun de ses films ,il collabore avec son chef monteur Kevin Tent afin de garder le contrôle et de veiller à ce que les idées qu’il a voulues faire passer au travers de sa réalisation restent intactes. On sent bien au travers de cette production indépendante (Bona Fide Productions) que le réalisateur a pu enfin donner naissance à un film rempli d’amour non seulement en transmettant les valeurs auxquelles il croit (la famille, la générosité, l’humanité) mais aussi dresser un portrait de la vraie Amérique. Loin des grandes villes, le film nous montre des petites villes américaines entrain de mourir peu à peu en faveur des grandes villes. Nous sommes donc loin de cette Amérique du slogan American Way of life, on découvre plutôt des personnes meurtries, victimes d’un système.

Le film donne également au comédien Bruce Dern l’un de ses meilleurs rôles. Il interprète ainsi un vieil homme, ancien alcoolique qui croit avoir gagné le gros lot à un tirage au sort par correspondance. La première scène du film nous présente donc ce vieil homme se rendant à pied au Nebraska pour récupérer son chèque.  L’un de ces deux fils voyant que son père tient absolument à se rendre au Nebraska décide de l’accompagner dans son odyssée sachant pertinemment que celui-ci n’a rien gagné. Ce voyage leur permettra de se rendre compte de la cupidité de certaines personnes de leur famille éloignée  et de se rapprocher. La dernière scène est un moment intense de ce père et de ce fils retournant chez eux plus solidaires que jamais.

Le cinéma américain exploite souvent la thématique des road movies mais n’arrive guère à ce résultat où pratiquement tout semble si parfait et imbriqué. Le noir et blanc renforce l’action du film plus qu’elle ne le dessert. De la même manière l’économie de moyens et donc le temps compté qu’a eu le réalisateur pour tourner son film a joué en sa faveur. On sent qu’un véritable lien familial est apparu entre les différents comédiens. La profondeur des personnages et le réalisme dépeignent  cette Amérique profonde,c’ est telle une lettre d’amour ouverte du réalisateur envers cet Etat dans lequel plusieurs films ont été tournés.

Non seulement le film est une comédie hilarante dans la mouvance des frères Coen mais également contient des moments dramatiques magnifiquement interprétés par ce duo d’acteur Bruce Dern / Will Forte. Il y a dans ce film une tendresse permanente envers le réalisateur et ses personnages et cette Amérique. Peu de réalisateurs ont le talent de dépeindre ainsi ces lieux abandonnés, ces victimes d’un système imparfait. Alexander Payne montre une nouvelle fois qu’il est l’un des meilleurs réalisateurs américains actuels.

Le réalisateur est né au Nebraska, une nouvelle fois ce film lui est très personnel et il le concrétise tel un grand peintre souhaitant que son œuvre soit parfaite et lisible par tous. La simplification de cette histoire renforce ainsi la beauté des images, la grande classe de ces comédiens. C’est cela que devrait être le cinéma américain, un cinéma plein d’humanité, de richesse et d’acteurs parfaits habitant leur rôle avec une intensité rare. Comme dans ces précédents films, The Descendants et Sideways, l’Amérique actuelle et la famille tiennent une place importante. Une Famille à laquelle nous aimerions appartenir tellement ce réalisateur est humble, dévoué à son art et ne veut pas volontairement  rentrer dans une logique commerciale. On ne peut donc qu’applaudir ce film profond, vrai et tellement attachant.

Vu le 13 mars 2014  au Club de l’Etoile , en VO

Note de Mulder: