12 years a slave

12 years a slave
Titre original:12 years a slave
Réalisateur:Steve McQueen
Sortie:Cinéma
Durée:134 minutes
Date:22 janvier 2014
Note:

En 1841, Solomon Northup est un homme libre, qui soutient pleinement sa famille grâce à son talent de violoniste. Invité à Washington afin d’y participer à un spectacle de cirque, il se retrouve à l’issue d’une nuit de beuverie dans un cachot, enchaîné et prêt à être vendu comme esclave. Ses protestations ne font qu’attiser la cruauté de ses geôliers, qui embarquent Solomon sur un bateau, en direction du sud. Désormais appelé Platt, l’esclave malgré lui apprendra à son corps défendant qu’il vaudra mieux faire profil bas envers les maîtres des plantations auxquels il est vendu à tour de rôle, s’il veut survivre et peut-être un jour revoir les siens.

Critique de Tootpadu

Il n’est jamais facile de se souvenir des chapitres déplaisants de notre Histoire. La place que les Etats-Unis et l’Europe ont occupé jusqu’à présent en termes de richesse et de pouvoir, elle a été acquise au fil des siècles au prix de sacrifices humaines inimaginables, payées par des populations pauvres et sauvagement exploitées qui n’ont guère laissé de trace dans les annales. Car c’est toujours le vainqueur qui décide à la fois du cours de l’Histoire à venir et de la version officielle du passé, qui sera transmise aux générations futures. De nos jours, la conscience collective est assez développée pour s’émouvoir de ces injustices d’un autre âge, peu importe qu’elles portent le nom de l’esclavage, du colonialisme ou de l’extermination de peuples tout entiers. Heureusement, elle va jusqu’à tenter de rattraper les torts causés par nos aïeux ou au moins à remplir son devoir de mémoire pour que pareilles atrocités ne se reproduisent plus. Toutefois, ce regard rétrospectif, avant tout empressé de réconcilier et non pas de juger, nous a toujours paru un peu trop calculé, prenant la distance dans le temps comme un prétexte pour ne pas faire face sans ménagement à l’aspect très sombre de la nature humaine.

Le cinéma est par essence un formidable vecteur pour ressusciter des époques révolues, afin d’immerger un spectateur formaté à l’esprit passablement éclairé du XXIème siècle dans un monde où notre civilisation n’en était encore qu’à ses balbutiements. 12 years a slave entreprend cette mise en abîme avec une férocité et une dureté qui forcent le respect, ou plus précisément qui nous confrontent magistralement avec une forme de discrimination insoutenable, dont nous ne voyons plus que les ultimes vestiges aujourd’hui. Il ne s’agit évidemment pas du premier film américain sur l’esclavage, ni du premier pamphlet cinématographique sur les défauts sociaux d’un pays, qui se complaît trop souvent dans le rôle de donneur de leçons hautain en matière de liberté et de valeurs démocratiques. C’est par contre l’un des seuls films à faire l’effort considérable de reproduire un état d’esprit archaïque. Dans des œuvres comparables, l’espoir avait toujours su trouver jusqu’à présent un appui précieux dans une narration édifiante. Parfois tendancieuse, parfois subtilement optimiste, elle ne semait jamais le doute quant au degré d’indignation que le triste spectacle était censé susciter auprès du spectateur. Et si les faits étaient malgré tout trop durs à supporter, la mise à distance par le biais d’un personnage irréprochable et extérieur au problème – et donc nullement en danger de se faire anéantir par le fléau – garantissait la tranquillité d’esprit de notre pauvre conscience, anesthésiée par une surcharge de confort matériel et affectif.

Dans son troisième film, le réalisateur Steve McQueen abandonne ces conventions des bonnes intentions avec un courage et une pureté artistiques qui nous enthousiasment au plus haut point. Son choix pour montrer l’horreur de l’esclavage dans les moindres détails ne s’est point porté sur le réalisme, qui aurait procédé à une déformation dans le fond et dans la forme de cette pratique abjecte. C’est davantage grâce à une banalité suffocante que le périple de Solomon Northup gagne ses lettres de noblesse filmique. Le protagoniste a ainsi beau pendouiller à moitié mort d’un arbre pendant des heures, la vie continue autour de lui en signe d’une indifférence d’autant plus choquante qu’elle est à l’opposé des bases de la vie en communauté aux multiples filets de secours et avertisseurs d’abus, de rigueur de nos jours. Le récit est pratiquement rythmé par ces moments de solitude dans la souffrance, qui expliquent sans condescendance comment une aberration tel l’esclavage a pu perdurer si longtemps.

Aux côtés de cette résignation lénifiante, le protagoniste est très loin du modèle idéaliste de l’avocat des droits de l’homme avec lequel un film plus consensuel l’aurait affublé. Son intelligence et ses bonnes manières lui sont en effet peu utiles dans le contexte d’une dégringolade sociale si vertigineuse que les codes de l’esclavage suffisent amplement pour le garder immobile dans sa soumission. Et ce n’est pas non plus un homme courageux, puisque ses rares tentatives de révolte se limitent à une forme plutôt timide d’insolence face à des maîtres aux pratiques dégradantes. Pourtant, sous les traits d’un Chiwetel Ejiofor qui trouve là son rôle le plus intense et sobre en même temps, cet individu est le passeur parfait pour intéresser un public très large à cette injustice presque oubliée de l’esclavage sur le sol américain. Il occupe le centre de l’intrigue autour duquel les autres personnages gravitent, tout en étant seulement une victime en sursis de cette barbarie à l’état pur. Ses séquelles psychologiques, provoquées par ces hommes et ces femmes dont les cadavres jonchent son chemin, résonnent par conséquent infiniment plus fort qu’une simple descente aux enfers personnelle.

Enfin, la mise en scène excelle dans l’évocation visuelle de ce vide existentiel. Que ce soit le motif récurrent de l’eau ou bien l’audace téméraire de disposer régulièrement le cadre autour d’une absence, Steve McQueen apporte une dureté esthétique au film qui rend celui-ci encore plus poignant !

 

Vu le 5 février 2014, au Max Linder, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Certains films s’imposent dès leur première vue comme des plaidoyers envers des causes justes et surtout à tenir informé les spectateurs des actes historiques qui ont entachés certains pays. Comme dans le film incontournable de Steven Spielberg La couleur pourpre (1985), ce film s’attache à défendre l’abolition de l’esclavage et les horreurs qui ont eu lieu aux Etats-Unis.

En seulement trois films (Hunger (2008), Shame (2011), le réalisateur Steve McQueen a réussi à s’imposer comme un réalisateur incontournable. Ses deux premiers films britanniques notamment grâce à l’interprétation de son acteur fétiche Michael Fassbender lui permit avec 12 years of slave de réalise son premier film américain sur un sujet qui lui tient à cœur.  En effet ce film inspiré d’une histoire vraie et adaptée des mémoires de Solomon Northup narre comment un jeune afro-américain libre quelques années avant la guerre de Sécession fut victime d’une machination , kidnappé et soumis à l’esclavage pendant douze ans. Le film co-produit par la société Plan B Entertainment (créé par notamment Brad Pitt) permit au réalisateur de livrer le film qu’il voulait réellement tourné, un film libre, fort et magnifiquement interprété. Dès les premières images, nous sentons que le réalisateur a tenu à être le plus fidèle possible à la reconstitution de cette époque. Il s’appuie non seulement sur un scénario parfaitement maîtrisé et signé par  John Ridley  (Red tails (2010)..) et sur un casting parfait.  Le rôle principal est magnifiquement tenu par Chiwetel Ejiofor (Les fils de l’homme (2006), Red Belt (2008), Salt (2010)..). On sent une véritable osmose s’opérer entre cet acteur et le réalisateur parfaitement en phase pour soutenir un sujet qui leur est cher, soit les méfaits de l’esclavagisme et la défense des minorités opprimés. Le casting  comprend également une multitude de second rôle étant donné que le personnage de Solomon Northup se verra travailler dans des champs de coton pour différentes familles de propriétaires. On pourra ainsi citer le comédien Michael Fassbender (présent dans chacun des films de Steve McQueen), Benedict Cumberbatch, Paul Dano, Paul Giamatti, Brad Pitt.

Alors que le sujet de l’esclavage a déjà été abordé en toile de fonds dans plusieurs longs métrages, l’approche du réalisateur permet de l’entrevoir d’une manière différente. En effet, à travers le regard d’un homme libre devenu esclave malgré lui c’est une approche humaine, pratiquement documentaire que nous propose le réalisateur. La justesse des propos rapportés nous témoigne toute l’horreur d’un peuple opprimé. Cette approche nous rappelle par certains côtés celle de l’acteur-réalisateur Kevin Costner dans le magnifique Danse avec les loups (1991). Ce n’est pas seulement un film que nous propose le réalisateur mais un véritable témoignage sur un sujet encore sensible. Non seulement le sujet lui permet de continuer sa thématique sur les blessures du corps et de l’âme mais également son approche de l’humanité. Le réalisateur ne cherche pas à nous attendrir, il est plutôt là pour nous faire réfléchir sur nos erreurs, sur ces injustices qui mériteraient d‘être défendues. Le personnage de Solomon Northup mérite sa place à côté des personnalités afro-américaines qui ont défendu la cause afro-américaine tel Martin Luther King. Nous sommes donc loin de cette vision de l’american way of life, sa vision de l’Amérique est tâchée d’un sang épais de personnes maltraitées, déshumanisées. Le réalisateur Steve McQueen nous montre sans aucune censure les atrocités commises pendant cette période guère mémorable et envieuse d’un pays en développement.

L’attachement pour ce sujet passionnant et personnel  se ressent à chaque image. Nous sommes donc très loin du cinéma hollywoodien trop lisse et trop présentable cherchant à plaire à tout le monde. On ressent donc cette approche européenne dans chaque plan du film et ce rythme certes lent mais volontaire pour exacerber cette torture psychologique d’un homme meurtri au plus profond de lui-même. L’intelligence du film qui est à saluer montre que le cinéma comme le démontre si bien ce film se doit de divertir intelligemment et surtout faire passer des messages importants. Certains critiques prétendent que ce film américain est le meilleur film sur l’esclavage. Cette vision serait pourtant trop limitée pour décrire un film symbole de la lutte pour la survie, le dépassement de soi et surtout un message d’amour et de tolérance. Une nouvelle fois ce message passe aussi au travers de l’excellente musique de Hans Zimmer (The Dark Knight, Man of Steel...). En revoyant ce film, impossible de ne pas repenser au film de Steven Spielberg La liste de Schindler (1993). Le héros meurtri une fois libéré mettra sa vie au service de la lutte contre l’esclavagisme. Son apport pour la liberté de la population afro-américaine est à saluer tel ce film tout simplement magnifique, fort et intense.

Vu le 19 février 2014 au Pathe Beaugrenelle, Salle 05 fauteuil F8 en VO

Note de Mulder: