Man of Tai Chi

Man of Tai Chi
Titre original:Man of Tai Chi
Réalisateur:Keanu Reeves
Sortie:Cinéma
Durée:105 minutes
Date:30 avril 2014
Note:

Tiger Chen est le seul élève du maître Yang, auprès duquel il apprend tous les secrets du Tai Chi. A l’insu de son professeur, il participe à une compétition d’arts martiaux. Sa prestation attire l’attention de Donaka Mark, un homme d’affaires surveillé par la police, qui cherche un nouveau poulain pour ses combats clandestins jusqu’à la mort, transmis dans le monde entier. Tiger Chen cède d’abord à l’offre lucrative de Donaka et troque sa vie frugale, basée sur la méditation, contre un enchaînement de victoires fracassantes. Mais petit à petit, il commence à trahir la philosophie du Tai Chi au profit d’un style de combat plus violent.

Critique de Tootpadu

Malgré les apparences, Keanu Reeves a plusieurs cordes à son arc. Il n’est pas seulement un acteur moyen, qui avait la chance de porter quelques succès du cinéma hollywoodien des années 1990 sur ses épaules. Plus récemment, il a diversifié ses activités, en produisant par exemple le documentaire remarquable Side by side de Christopher Kenneally et en s’essayant pour la première fois à la mise en scène, avec ce film d’arts martiaux très solide. Man of Tai Chi n’aspire point à révolutionner un genre où se bousculaient autrefois Jean-Claude Van Damme et Steven Segal, tombé depuis en désuétude parce que l’affrontement des effets spéciaux plaît apparemment plus au public contemporain que celui des corps endurcis au prix de moult privations. Il s’agit néanmoins d’un reflet plutôt astucieux des bouleversements qui ébranlent actuellement les sociétés asiatiques, écartelées entre le poids d’un passé traditionnel et un avenir forcément incertain, dans lequel il faudra pourtant assumer un rôle de leader, face aux influences déclinantes de l’Europe et des Etats-Unis.

A côté de quelques scènes de combat spectaculaires, le récit s’emploie ainsi à interroger tout un catalogue de tentations, plus alléchantes les unes que les autres. Alors que le héros ne met pas longtemps avant d’abandonner sa voie vertueuse et d’embrasser sans trop de scrupules la chimère de l’argent facile, la narration fait preuve d’une subtilité appréciable en termes d’attribution des rôles du bon et du méchant dans une construction guère manichéenne. Bien que Keanu Reeves interprète un personnage proprement diabolique, ce patron omniscient et grand manipulateur de la représentation médiatique est après tout à l’image de notre époque, plus âpre au gain que préoccupée par le maintien d’un certain standard moral. Logiquement, son adversaire aura donc plus de mal à protéger son innocence de ces manœuvres malicieuses, que ce ne serait le cas dans un film au propos plus caricatural. Le grand affrontement final, très sobre dans sa mise en place, contrairement aux combats précédents qui étaient soumis à un cérémoniel proche de l’univers nihiliste de Hunger games, pose d’ailleurs plus de questions philosophiques qu’il ne fait figure de règlement de compte aussi classique que rassurant.

Quelle sera la réaction de l’Asie suite au contact rapproché avec une modernité aux valeurs fortement métissées ? Hélas, le film ne nous donne aucune réponse satisfaisante à cette interrogation existentielle, puisque la conclusion fait partie des rares manquements formels de la narration. Sinon, cette dernière sait alterner, avec une aisance impressionnante, l’action jouissive et un regard remarquablement intelligent et peu partial sur le statu quo de la Chine d’aujourd’hui. Ce qui est déjà un accomplissement en soi de la part d’un film américain – quoique financé en grande partie par des capitaux asiatiques –, qui rompt ainsi avec les vieux clichés à la fois sur les arts martiaux et sur une conception vaguement exotique et inoffensive de l’Orient.

 

Vu le 25 février 2014, à la Salle Pathé François 1er, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Man of Tai Chi est sorti en salles aux Etats-Unis le 1er novembre et en vidéo le 10 décembre de l’année dernière. Sa sortie tardive le 30 avril prochain devrait pourtant être salué car non seulement l’acteur Keanu Reeves réussit le pari audacieux de réaliser un excellent film d’action mais surtout il ne choisit pas la facilité en tournant celui-ci en Chine en madarin et en anglais. On sent que le plaisir que cet acteur a pris à interpréter le rôle de Thomas Anderson (aka Néo) dans la saga Matrix et à interpréter ses propres scènes de combat. Il retrouve ainsi le chorégraphe de cette saga culte Woo-Ping Yuen pour nous livrer de nombreuses scènes de combat aussi différentes les unes que les autres et surtout nous présenter un personnage intéressant et adepte du Tai-Chi que l’on pourrait traduire par boxe avec l’ombre. Le héros, Chen Lin-Hu (Tiger Hu Chen) entraîné par un maître de cette discipline ancestrale se verra proposé de gagner de l’argent pour mener des combats clandestins filmés. Son évolution et ses rapports avec l’impitoyable Domaka Mark le poussera à renier les principes enseignés par son maître jusqu’à ce qu’il réalise qu’il n’est qu’un pion dans les mains de cet organisateur de combats.

Le film surpasse aisément les films d’actions des années 90 qui donnaient à des acteurs tels Steven Seagal, Jean-Claude Van Damme et autres  à la palette assez réduite des rôles sur mesure. Dans ce sens, l’acteur Keanu Reeves loin de se donner le meilleur rôle préfère interpréter celui de Domaka Mark. On retrouve ici des thématiques appréciées par cet acteur comme le dépassement de soi, le respect des valeurs morales et la recherche d’un équilibre du corps et de l’esprit. Ces thèmes, l’acteur réalisateur les a abordés dans les films incontournables que sont bien entendu la saga Matrix (1999-2003, des frères Wachowski) Point Break (Kathryn Bigelow, 1991), Speed (Jan de Bont, 1994), Constantine (2005, Francis Lawrence) et plus récemment 4 Ronin (2013, Carl Erik Rinsch). Pour son premier film il témoigne d’un talent indéniable pour mettre en scènes des scènes de combats hallucinantes et trop rarement vues  en salle. Le scénario de Michael G. Cooney lui permet autant de développer ses personnages sans oublier de nous proposer différentes scènes  très réussies dans lesquelles l’acteur Tiger Chen Linhu s’impose de manière très convaincante. 

Là où de nombreux réalisateurs ont échoué à vouloir faire cohabiter dans un même film le cinéma asiatique et américain, le premier film de Keanu Reeves s’impose comme un modèle du genre. Son film est donc la fusion parfaite d’un film asiatique d’action spectaculaire avec une vision américaine (happy-end, montage…). Keanu Reeves s’appuie aussi sur un casting prestigieux notamment l’actrice Karen Mok (Black mask (1996), Shaolin Soccer (2001), …) et Simon Yam (Une balle dans la tête (1990), Lara Croft : Tomb Raider, le berceau de la vie (2003), Ip man 1&2 (2008-2010)..) et aussi une apparition de Iko Uwais (Merantau (2009), The Raid (2011)). La tonalité du film très sérieuse contrairement à beaucoup de films d’actions asiatiques témoigne du respect envers les formes  de combats asiatiques et de la volonté de faire un premier film bilan du cinéma asiatique actuel. Il s’appuie ainsi sur le Directeur de la photographie Elliot Davis maîtrisant totalement la manière d’aborder les scènes de combats de manière réaliste. Il en ressort une mise en scène intuitive et viscérale captant parfaitement l’action. A la vue de ce film, on pourrait presque dire que Keanu Reeves est un meilleur réalisateur qu’acteur et surtout sait parfaitement s’entourer pour venir à bout de son premier film.

La dernière scène du film est donc celle que les fans de la saga Matrix attendent et donc l’affrontement tel un duel tiré d’un western entre le héros et son ennemi, entre Donaka Mark (Keanu Reeves) et Chen Lin-Hu (Tiger Hu Chen). Keanu Reeves s’impose donc par ce film comme un réalisateur à suivre de près, d’un acteur qui a acquis une certaine maturité pour enfin passer derrière la caméra et laisser sa place à une nouvelle génération d’acteurs. Le film montre également que le réalisateur a suffisamment vu de films Hongkongais et a su en tirer la substantifique moelle  pour faire une réalisation hybride qui fonctionne parfaitement.

Vu le 25 février 2014  à la Salle Universal, en VO

Note de Mulder: