Travail au noir

Travail au noir
Titre original:Travail au noir
Réalisateur:Jerzy Skolimowski
Sortie:Cinéma
Durée:97 minutes
Date:12 janvier 1983
Note:

En décembre 1981, le contremaître polonais Nowak est envoyé avec trois ouvriers à Londres, afin d’y rénover la résidence secondaire de son patron. Puisqu’il est le seul à parler anglais, c’est lui qui gère le budget et qui surveille l’avancement des travaux, qui sont censés durer un mois. Quand un coup d’Etat rend impossible toute communication avec leur pays d’origine, Nowak décide de ne pas en informer son équipe, afin de ne pas perturber l’emploi du temps.

Critique de Tootpadu

Deux niveaux de lecture coexistent magistralement dans ce film anglais, issu d’une époque où le cinéma d’outre-Manche était encore animé par une conscience sociale aiguë. Il y a tout d’abord le contexte d’une actualité brûlante, puisque Travail au noir intègre presque en temps réel les événements qui allaient faire du mouvement Solidarité un symbole fort de la lutte pour la fin de la Guerre froide. Difficile d’imaginer aujourd’hui le potentiel polémique d’un film, qui prenait comme arrière-plan un retournement de situation géo-politique à cause duquel la Pologne allait être soumise au régime de la dictature pour le restant des années 1980. Ce serait comme si la guerre civile syrienne ou le printemps arabe trouvait soudainement un écho cinématographique majeur, au lieu des documentaires et autres exercices formels mineurs qui en tiennent compte jusqu’à présent.

Trente ans plus tard, l’équilibre des forces en Europe a radicalement changé. Mais ce n’est pas pour autant que le sujet des travailleurs étrangers ait perdu de son urgence et de son importance. Les Polonais de hier, ce sont les immigrés clandestins venus de pays lointains d’aujourd’hui, qui se font toujours exploiter de la même façon, au profit de notre propre standard de vie. Le fléau de l’injustice sociale est hélas universel. C’est par conséquent la faculté de la narration de Jerzy Skolimowski de voir au-delà du cadre immédiat qui rend son film réellement poignant. L’expédition en terre promise – une réputation dont jouit encore l’Angleterre en dépit de son économie aux pieds d’argile – incite des millions de réfugiés d’accepter des conditions de travail inadmissibles. A la fois défavorisés par leur ignorance et par l’inégalité des chances inhérente à notre modèle social, ils sont le maillon faible d’une hiérarchie professionnelle qui exploite souvent et récompense rarement le mérite.

En adoptant exclusivement le point de vue du supérieur, qui est pourtant soumis à des impératifs de coût et de temps sur lesquels il n’exerce aucune influence, le scénario va encore un peu plus loin dans l’analyse sobre, mais impitoyable d’une économie parallèle dont les véritables profiteurs gardent les mains propres. Nowak subit de plus en plus la pression invisible de la responsabilité, qui l’oblige à devenir d’abord un manipulateur et puis un voleur dans la descente tragique vers l’amoralité. Dans l’un de ses premiers rôles d’envergure, le jeune Jeremy Irons pourrait paraître un peu trop cérébral pour un tel personnage, aveuglement redevable envers son patron, au risque de se perdre dans le dédale d’une mission qui le dépasse largement, et pas seulement en raison de la solitude imprévue dans laquelle il devra prendre des décisions cruciales. Or, c’est précisément parce que cet homme intelligent est pleinement conscient de la supercherie qu’il dirige que son parcours intime est si passionnant.

Enfin, le sang froid de la mise en scène rapprocherait presque le film d’un thriller d’espionnage. Tout en laissant le soin du commentaire à une voix off pour une fois essentielle dans l’expression de l’isolation, elle enregistre sans états d’âme les agissements clandestins d’un groupe d’hommes infiltrés pour une mission secrète. Sauf que l’ennemi n’y est point un gouvernement mal intentionné mais l’hostilité de la population locale dans toute sa banalité affreuse. Entre la vie dans le ghetto ou un abaissement irrévocable de ses convictions éthiques pour alléger les dépenses, il n’y a pas d’issue honorable à cette forme très basique de l’exclusion. Le pire, c’est que rien n’a été fait depuis pour adoucir le sort des immigrés actuels, qui ne sont certes plus polonais, mais qui sont toujours enfermés dans un cercle vicieux hautement injuste.

 

Vu le 26 février 2014, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju, en VO

Note de Tootpadu: