Un deux trois

Un deux trois
Titre original:Un deux trois
Réalisateur:Billy Wilder
Sortie:Cinéma
Durée:109 minutes
Date:28 février 1962
Note:

MacNamara est le directeur du bureau de Coca-Cola à Berlin-Ouest. Guère satisfait de son poste, il fait tout pour une promotion au bureau européen à Londres. Son plan ambitieux consiste en l’introduction de la célèbre boisson dans les pays derrière le rideau de fer. Hélas, son patron américain ne veut pas en entendre parler. Il charge MacNamara d’accueillir sa fille adolescente Scarlett pendant quelques semaines chez lui à Berlin, afin de lui faire oublier un amant indésirable aux yeux de ses parents. Cette mission risque de causer la perte de MacNamara, quand il apprend que la jeune fille part toutes les nuits en cachette dans la partie est de la ville, afin d’y voir son amant Otto Piffl, un communiste convaincu.

Critique de Tootpadu

L’humour de Billy Wilder et de son fidèle collaborateur au scénario I.A.L. Diamond n’est pas infaillible. Il arrive aussi souvent qu’un film de Billy Wilder accuse sérieusement son âge, qu’il nous enthousiasme par son esprit pétillant et intemporel. A première vue un pur produit de son époque, avec cette situation périlleuse de l’ancienne et future capitale allemande coupée en deux, Un deux trois est néanmoins l’une des comédies les plus jubilatoires et jouissives du réalisateur ! Alors que, ces jours-ci, la température politique sur le continent européen est la plus froide depuis des décennies, en raison du sursaut sur le territoire ukrainien des vieux antagonismes entre l’Est et l’Ouest, le choc des mentalités et des idéologies est traité sur un ton magistralement corrosif ici. L’apparence d’une publicité larvée pour Coca-Cola n’est en effet qu’un leurre malicieux. Car au fond, ce film se moque avec la même impertinence des défauts du capitalisme et de ceux du communisme soviétique.

L’analyse des imperfections culturelles est simplement prodigieuse au cours d’un film, qui fait de surcroît preuve d’un rythme parfait. La manie typiquement américaine de l’ingérence et de la supériorité supposée y en prend pour son grade, sans que le vieux réflexe autoritaire allemand et la crédulité maintes fois désabusée des Russes ne soient épargnés. En cela, le scénario dynamite avec intelligence la répartition manichéenne, de rigueur à l’époque, pour mieux montrer les failles humaines de ces constructions mentales, qui ne résistent point à l’assaut incessant de besoins très concrets pour maintenir le statu quo, voire survivre. Ainsi, MacNamara croit être le plus malin dans cette affaire hautement rocambolesque, celui qui tire toutes les ficelles et qui trouve immédiatement une parade aux problèmes les plus improbables. Bien sûr, pareille arrogance ne tarde pas à être punie sévèrement, dans un double retournement de situation final qui démontre l’absurdité du perfectionnisme à l’américaine.

En fait, la troisième et dernière partie du film procède à la mise en œuvre de cette croyance erronée que rien ne résiste au rouleau compresseur du formatage capitaliste. La vitesse narrative s’y emballe merveilleusement, au point que le ratage de certaines blagues est rapidement rattrapé par une autre dans ce feu d’artifice impressionnant de joutes verbales. Au fur et à mesure que les attributs de la bourgeoisie exercent leur effet sur l’esprit du jeune révolutionnaire auparavant intransigeant, la critique implicite de cette forme de corruption morale se fait de plus en plus acerbe. Tandis que le personnage principal réussissait jusque là à jongler entre toutes les facettes d’une existence pas vraiment conforme à l’idéal asexué de la famille américaine, il commence à perdre pied dès que ses agissements de l’ombre prennent le dessus et qu’ils le désignent comme le manipulateur cruel qu’il est réellement.

On pourrait y voir un constat sombre sur le colonialisme économique de la part des Etats-Unis, riche en cynisme et en conclusions déprimantes. Grâce à la bravoure de la mise en scène de Billy Wilder, le récit devient au contraire un divertissement suprême, d’autant plus précieux qu’il ne se relâche jamais dans la critique mordante du système auquel il appartient lui-même.

 

Revu le 3 mars 2014, au Cinéma des Cinéastes, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu: