Tout est permis

Tout est permis
Titre original:Tout est permis
Réalisateur:Coline Serreau
Sortie:Cinéma
Durée:97 minutes
Date:09 avril 2014
Note:

Le permis de conduire à points existe en France depuis plus de vingt ans. Condamnés entre autres pour des excès de vitesse ou pour conduite en état d’ivresse, les auteurs d’infractions peuvent récupérer leurs points perdus à travers des stages, obligatoires ou volontaires en fonction des cas. Pendant ces sessions, les animateurs rappellent les principes fondamentaux du code de la route. Elles servent également à réfuter les idées reçues sur les femmes au volant ou sur le rôle de l’alcool ou du téléphone sur la vitesse de réaction du conducteur.

Critique de Tootpadu

Il n’y a pas de petit délit quand on conduit. Prendre le volant ou simplement participer à la vie routière en tant que piéton, cela exige le respect de règles strictes, qui ont été principalement instaurées pour nous protéger et non pas pour limiter notre liberté de circulation. Mais entre la loi et son respect, il existe un fossé assez important en France. C’est sans doute une histoire de mentalité, par laquelle on s’est au demeurant volontairement fait corrompre au fil des près de vingt ans qu’on y vit. Il n’empêche que nous voyons chaque jour un degré d’incivilité dans les rues parisiennes, qui nous a ôté tout envie d’y rouler en voiture, voire de prendre le vélo. Fin de la parenthèse personnelle et hypocrite, puisque cet excellent documentaire nous invite à une prise de conscience hautement salutaire. Au lieu de conforter le vieux préjugé de la faute à chercher chez les autres, alors que soi-même, on afficherait un comportement irréprochable, Tout est permis s’emploie à une mise en perspective aussi instructive que touchante de cet espace de communauté qu’est la route.

La caméra de Coline Serreau ne s’y aventure d’ailleurs pratiquement pas, si ce n’est au détour d’images d’archives le plus souvent tournées sur des circuits fermés. La réalité prend cependant une place de choix au sein d’une argumentation, qui montre les séquelles pénales, matérielles et corporelles des dangers de la route. Le principal coupable, ce ne sont pas tant les autorités répressives, les lobbies de l’alcool, des voitures inutilement puissantes ou des opérateurs de téléphone, que l’individu qui se croit justement tout permis. On croise ainsi des énergumènes curieux dans ces sessions de stage de récupération de points, des irresponsables qui considèrent que la violence routière donne matière à rigolade. Les idées reçues se bousculent au portillon d’entrée de ces leçons en matière de civisme, auxquelles aucun des participants ne s’est inscrit par plaisir. Or, au fond, ces hommes et ces femmes n’expriment que notre propre état d’esprit : ce sujet ne me concerne pas réellement, je n’y suis confronté que pour pouvoir garder mon permis de conduire ou, en tant que spectateur, parce que la séance rentrait comme par miracle dans mon emploi du temps de projections déjà bien garni cette semaine.

C’est de cette attitude blasée et détachée que la réalisatrice fait le procès, de la façon la plus astucieuse imaginable. Elle montre certes quatre victimes d’accidents horribles, dont la vie a été gâchée à cause d’un moment d’inattention, de leur part ou de celui d’un conducteur irresponsable. Mais ce poids émotionnel est géré avec une délicatesse et une parcimonie, qui ne servent qu’à donner un visage aux chiffres qui étayent le propos du documentaire. Son fer de lance, c’est la prévention avant toute chose. Elle ne peut être durable et utile, si elle part d’une prise de conscience réelle, ainsi que d’une connaissance des enjeux dans cette affaire, qui nous touche tous, dès que l’on met les pieds dehors. Puisque les faits essentiels sont présentés sous une forme très ludique ici, à la fois d’un point de vue démographique et physique, le prolongement logique serait alors de changer pour de bon nos mauvaises habitudes et d’améliorer par conséquent la vie en communauté.

L’insécurité routière, tout le monde en parle, mais personne n’applique à son niveau personnel les règles qui pourraient l’empêcher. Il faudrait malheureusement plus que ces éternels spots publicitaires aux images choquantes pour déclencher un sursaut d’indignation contre ce fléau social – pourtant si facile à éradiquer – qui se chiffre chaque année en milliers de morts. Grâce à ce documentaire, qui trouve l’équilibre parfait entre l’anecdote humaine et le caractère scientifique de la problématique, un premier pas décisif est fait en direction d’un monde meilleur, où la voiture serait exclusivement un moyen de transport et plus une arme. Sans la moindre langue de bois et surtout sans juger les personnes qu’elle interroge, aussi douteux leur discours soit-il, Coline Serreau mène à bien ce combat héroïque. Espérons que son film magnifique ne sera pas perçu comme une leçon ennuyeuse sur un sujet rebattu, mais que la fraîcheur de son ton et sa noblesse humaine décomplexée lui réserveront le plébiscite qu’il mérite !

 

Vu le 10 mars 2014, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: