Computer chess

Computer chess
Titre original:Computer chess
Réalisateur:Andrew Bujalski
Sortie:Cinéma
Durée:91 minutes
Date:09 avril 2014
Note:

Au début des années 1980, un tournoi de programmes de jeu d’échecs a lieu dans un hôtel aux Etats-Unis. Le temps d’un week-end, les créations des plus brillants programmateurs informatiques du pays vont s’affronter. L’ordinateur qui remportera la compétition aura l’honneur de jouer contre un ancien champion d’échecs, jusque là invaincu, qui organise le séminaire. Pendant que le programme victorieux l’année précédente affiche des tendances suicidaires inquiétantes et que le programmateur indépendant Mike Papageorge ne trouve pas de chambre à l’hôtel, une thérapie de couple new-age s’y déroule en parallèle.

Critique de Tootpadu

Avant les geeks, il y a eu les nerds. Le quatrième film du réalisateur Andrew Bujalski a beau remonter aux balbutiements de l’âge informatique, il décrit sur un ton joliment décalé des phénomènes sociaux et culturels qui se sont encore amplifiés avec le temps. Désormais, les congrès qui tournent autour de l’informatique attirent des dizaines de milliers de visiteurs et l’utilisation de l’outil informatique sous toutes ses formes rythme pratiquement notre quotidien, s’il n’en est pas déjà devenu le maître. Mais la dynamique de cette coexistence entre l’homme et la machine n’a guère évolué au bout de trente ans. Elle s’est juste démocratisée. L’heure de la fascination est passée, pour laisser la place à un besoin de fonctionnalité et d’assistance dans les tâches les plus basiques. Celui-ci prouve que notre dépendance accrue est peut-être une victoire à mettre sur le compte de la suprématie informatique plus inquiétante que ne le serait l’expression d’une intelligence artificielle, qui supprimerait explicitement notre autonomie de penser et d’agir.

Computer chess tient compte de ce drôle de dilemme à son état embryonnaire, lorsque les programmes, aussi-rudimentaires soient-ils, dépassaient déjà les imperfections de leurs créateurs. Ces nouvelles technologies étaient ainsi en avance sur leur temps, calculant des stratégies de jeu auxquelles les experts humains ne comprenaient plus grand-chose, alors que les obstacles les plus anecdotiques de l’existence humaine enrayaient continuellement la machine. L’agitation satirique autour de cet événement, exceptionnel seulement aux yeux de ce microcosme d’initiés, nous rappelle à une échelle plus modeste le ton acerbe des films de Robert Altman en général et de H.E.A.L.T.H. en particulier. Ce n’est pas tant l’effervescence de la réunion d’experts qui intéresse ainsi la narration, et encore moins son résultat, mais les dysfonctionnements curieux de cette manifestation. Plutôt que de jouer un rôle de précurseur, cette dernière tombe rapidement victime des influences extérieures nullement hostiles et surtout de l’infériorité, en termes de compréhension et de maîtrise, de l’homme face à son monstre informatique.

La bataille d’émancipation de cette chose, qu’il est désormais impossible d’arrêter, s’articule en sourdine, tandis que ce sont les rencontres plus ou moins étranges qui font avancer le récit fascinant. Chaque personnage y est l’expression à la fois de son environnement et d’un cahier de charges personnel que personne ou presque n’arrive à respecter. La facture esthétique mi-rétro, mi-amateur du film ne vise alors point à édulcorer le propos et encore moins à se moquer du caractère nébuleux des quêtes individuelles. Elle procède au contraire à une mis en abîme prodigieuse, qui ne devrait pourtant pas priver de quelques pincements au cœur nostalgiques celles et ceux qui ont vécu de première main cette époque si proche, et qui nous paraît en même temps si loin dans son appréciation frileuse d’un monde façonné par l’informatique.

 

Vu le 17 mars 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

A travers sa filmographie déjà composée de Funny Ha Ha (2002), Mutual Appreciation (2005), et Beeswax (2009), Andrew Bujalski a su s’imposer comme la figure de proue d’une nouvelle vague du cinéma indépendant des Etats-Unis, que les journalistes se sont empressés de nommer mumblecore. Ce terme assez maladroit regroupe en réalité les films se démarquant du cinéma étiqueté indépendant mais financé en grande partie par les majors companies hollywoodiennes. Quatrième long-métrage de son auteur et premier à voir sa distribution assurée en France, Computer Chess est pour nous l’occasion de découvrir ce mouvement presque artisanal du cinéma américain.

Bujalski situe son récit à l’aube des années 80, une période qui correspond aux prémices de l’ère numérique, encore loin de notre époque actuelle caractérisée par l’omniprésence de l’outil informatique. Le tournoi d’échecs qui oppose des ordinateurs programmés par une poignée d’informaticiens est vite relégué en arrière-plan. En effet, ce qui intéresse par-dessus tout la caméra du réalisateur, c’est davantage tout ce qui gravite autour de cet évènement, les coulisses de la compétition : les longues discussions nocturnes, ou encore les tentatives de certains de séduire la seule fille présente à ce rendez-vous exclusivement masculin. Il s’agit donc de suivre chacun des personnages dans sa petite chambre ou dans les couloirs de l'hôtel à travers une vue éclatée, et Computer Chess adopte presque un aspect faussement documentaire.

C’est sans doute l’esthétique du film qui frappe en premier lieu, puisque l’utilisation d’un modèle de caméra datant du début des années 70 (une Sony ATC 32-16, soit un modèle quasiment archaïque) permet d’obtenir un noir et blanc très particulier. En plus de lui procurer une identité visuelle singulière et très eighties, un tel noir et blanc offre à l’image une beauté étrange et séduisante. Sa forme se distingue également par des procédés plus inhabituels, comme par exemple ce bref retour à la couleur lors d’une unique scène, ou encore le fait d’utiliser des split-screens lors de certains dialogues. A cela s’ajoute également un montage surprenant, faisant de Computer Chess le terrain de nombreuses expérimentations formelles.

Evidemment, le sujet du long-métrage d’Andrew Bujalski en fait également une sorte de réflexion à la fois amusée et angoissée, en tout cas satyrique, sur le rapport entre l’Homme et la machine. En témoigne ce moment surréaliste où un ordinateur défectueux affiche une échographie de fœtus avant de s’éteindre, peut-être un clin d’œil à 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. D’ailleurs, certains aspects de Computer Chess ne manquent pas de rappeler certains films du maître.

Pourtant, il ne faut pas voir en Computer Chess un de ces trop nombreux films indé au scénario relativement conceptuel se reposant sur une esthétique qui pourrait être perçue comme prétentieuse par certains. Non, il s’agit ici d’un objet cinématographique fascinant, finalement assez difficile à identifier. Au fil des errances de Michael Papageorge, un personnage aussi farfelu qu’attachant, le film devient progressivement bizarroïde et presque psychédélique. En tout cas, cette sorte de comédie loufoque où règne de temps à autre un humour bien particulier ne vise jamais une quelconque forme de moquerie à l’encontre de ces informaticiens nerds.

 

Vu le 11 Avril 2014, au Magic cinéma, à l’occasion du festival Bande(s) à part de Bobigny, en VO.

Note de Noodles: