3 X 3D

3 X 3D
Titre original:3 X 3D
Réalisateur:Peter Greenaway, Edgar Pêra, Jean-Luc Godard
Sortie:Cinéma
Durée:60 minutes
Date:30 avril 2014
Note:

Capitale de la culture européenne en 2012, la ville portugaise de Guimarães poursuit depuis un programme ambitieux de films collectifs. Dans 3 X 3D, trois réalisateurs sont invités à explorer la 3D et son influence sur notre perception du cinéma. Just in time de Peter Greenaway fait un tour du musée de la ville ; Cinesapiens de Edgar Pêra s’interroge sur une nouvelle espèce de spectateur de cinéma ; Les 3 désastres de Jean-Luc Godard explore l’Histoire du cinéma, de ses images et de ses sons.

Critique de Tootpadu

La 3D est censé être l’avenir du cinéma. C’est en tout cas ce que souhaiteraient quelques visionnaires pas entièrement exempts de mercantilisme, comme James Cameron. Pour l’instant, cette nouvelle vague de cinéma en relief, d’ores et déjà marquée par une plus grande longévité que sa première apparition dans les années 1950, est réservée à des productions assez fortunées pour pouvoir se permettre cette logistique toujours aussi encombrante et coûteuse. En gros, la plus-value de la 3D se paie au prix fort d’un investissement conséquent, qui est dans le meilleur des cas amorti par le surcoût, selon les marchés, du prix des tickets pour les films exploités de la sorte.

Or, la profondeur de champ filmique attend toujours d’être plus qu’un simple gadget, qui pâlit de toute façon en comparaison avec toutes les expériences immersives que les jeux vidéos et autres mondes virtuels proposent depuis longtemps au consommateur. L’initiative de la ville de Guimarães de financer trois bouts d’essai artistiques, confiés à des réalisateurs plus ou moins chevronnés, est donc louable, sur le papier. Car le résultat final montre sensiblement plus les limitations du support à ce stade de son évolution, qu’il ne lui ouvre de nouvelles perspectives.

Peter Greenaway ouvre les hostilités dans cette guerre contre nos rétines et notre confort visuel avec une visite touristique techniquement prodigieuse, mais assez anémique lorsqu’il s’agit de conférer un semblant de cohérence aux mouvements circulaires à travers les vieux monuments. Au lieu de s’attarder sur les différents personnages historiques, dont elle effleure au mieux le destin, inscrit sur des champs de texte qui passent à toute vitesse, la caméra se complaît trop dans la décomposition de l’espace visuel. Déjà dans le passé très friand de l’esthétique baroque, peu importe les besoins dramatiques de ses films, le réalisateur ne se prive ainsi point de découper le champ dans tous les sens. Il crée alors un espace difficile à appréhender, qui souffre avant tout de la vacuité consternante du contenu.

Le constat s’inverse avec le deuxième épisode, réalisé par Edgar Pêra. Ici, l’idée de départ se prêterait a priori à quelques réflexions saugrenues sur le lien à double sens entre le spectateur et le spectacle à l’écran. Mais cette fois-ci, l’emploi de la 3D est si alambiqué, avec d’innombrables surimpressions qui exagèrent inutilement la profondeur de champ, que l’œil s’égare sans le moindre espoir de retrouver un repère en accord avec le fond. Le miracle du cinématographe, célébré depuis ses débuts jusqu’à l’ouverture vers de nouvelles dimensions, devient alors progressivement un cauchemar éveillé.

Enfin, Jean-Luc Godard persévère dans la voie de la méditation abstraite dans laquelle son cinéma s’est enfermé jusqu’à l’asphyxie depuis près de quinze ans. Sa contribution s’apparente beaucoup trop à un énième chapitre supplémentaire aux Histoire(s) du cinéma. Les bribes visuelles et sonores s’y succèdent dans une discontinuité qui se refuse précisément à tout fil conducteur. On aurait presque tendance à croire que le vieux maître du cinéma français profite de cette carte blanche au format court pour mieux poursuivre son propre projet global. Ce dernier est hélas sans aucun rapport avec les autres parties du film. Pire encore, le désastre décrit risque de se retourner contre Godard lui-même, puisqu’il lui manque un souffle nouveau, en mesure d’amorcer une ultime inflexion à son œuvre personnel, admirablement hétéroclite.

 

Vu le 3 avril 2014, au Magic Cinéma, Salle 1, Bobigny, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Le développement de la 3D survenu depuis quelques années déjà nous amène à nous poser de nombreuses questions à son sujet : l’utilisation de cette technologie est-elle condamnée à n’être destinée qu’aux blockbusters hollywoodiens et autres films de divertissement ? A-t-elle sa place au sein d’un cinéma plus expérimental ? Quel est son avenir ? Pour tenter de trouver une réponse à ces interrogations multiples, trois cinéastes ont réalisé un tryptique à la demande de la ville de Guimarães, capitale européenne de la culture en 2012. Evidemment, le résultat final est moins un hommage à la ville portugaise qu’un véritable laboratoire au cours duquel le trio de réalisateurs explore les possibilités de la 3D au cinéma.

C’est le cinéaste britannique Peter Greenaway qui ouvre le bal, avec Just in Time. Des trois essais qui composent 3 X 3D, le sien est sans doute celui qui utilise le plus le relief à des fins de démonstration technique. En effet, la 3D permet ici de transformer le spectateur en visiteur du musée de Guimarães au fil d’un unique plan séquence. Le film prend presque des allures de manège touristique en nous entrainant à deux reprises à effectuer le même circuit, tandis que différentes époques se mêlent sous nos yeux. Un tel voyage à travers l’Histoire de la cité millénaire est l’occasion pour le réalisateur de développer diverses expérimentations visuelles, et n’hésite pas à diviser le cadre grâce à des split-screen. Là où son travail sur la 3D est assez remarquable, c’est que la certaine lenteur du travelling continu nous permet de nous immerger complètement dans cet univers en trois dimensions.

Edgar Pêra, dont la renommée est bien moindre comparée à celle des deux autres réalisateurs de 3 X 3D, nous offre une délirante réflexion sur la figure du spectateur au cinéma dans sa partie intitulée Cinesapiens. Il tente par ailleurs de retracer l’Histoire du septième art à l’aide de grandes références telles que L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895) ou encore Le Chanteur de Jazz (1927). On assiste alors à une série d’adresses directes aux spectateurs et à des séquences absolument farfelues, comme cette scène hallucinante dans laquelle des individus vêtus à la manière des membres du Ku Klux Klan prônent un cinéma décent tout en effectuant un salut nazi. Non sans humour, exagération et second degré, le cinéaste portugais n’hésite pas à tourner en ridicule une certaine industrie cinématographique hollywoodienne. Malheureusement, en abusant des surimpressions et autres effets finalement assez pénibles, le film prend l’allure d’un mauvais trip esthétique qui finit par ne ressembler qu’à une bouillie visuelle insupportable.

Sans surprise, c’est Jean-Luc Godard qui pousse le plus loin sa réflexion sur le cinéma et son évolution technologique dans Les 3 Désastres, n’hésitant pas à qualifier le numérique de dictature. Ce court divisé en trois parties distinctes est également l’occasion pour lui d’aborder des questions existentielles : « Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une cité ? Qu’est-ce que la guerre ? » s’interroge le cinéaste, tandis que des extraits de films aussi divers que Destination Finale 5 (2011) et Meshes of the afternoon (1943), défilent sous nos yeux. A notre grand regret, Les 3 Désastres s’avère n’être qu’une sorte de réchauffé des Histoire(s) du cinéma sans grand intérêt tant Godard ne cherche pas à explorer d’autres voies dans ses expériences cinématographiques. En revanche, seule sa partie présente la particularité de ne pas se reposer uniquement sur la 3D, ce qui permet justement de la mettre en valeur.

 

Vu le 3 Avril 2014, au Magic cinéma, à l’occasion du festival Bande(s) à part de Bobigny, en VO.

Note de Noodles: