Gerontophilia

Gerontophilia
Titre original:Gerontophilia
Réalisateur:Bruce LaBruce
Sortie:Cinéma
Durée:82 minutes
Date:26 mars 2014
Note:

A tout juste 18 ans, Lake ne sait pas encore ce qu’il veut faire de sa vie. Il profite d’une année sabbatique qu’il a prise avec sa copine Désirée, une révolutionnaire dans l’âme, pour effectuer de petits boulots que sa mère Marie lui a trouvés. A la résidence pour personnes âgées « Coup de cœur », il est en charge de la toilette des pensionnaires. Lake fait ainsi la connaissance de l’octogénaire Melvyn Peabody, qui résiste autant qu’il le peut au personnel soignant et son régime de fortes doses de médicaments. Le jeune homme se sent attiré par celui qui pourrait être son grand-père. D’abord juste une complicité amicale, leur relation devient amoureuse lorsque Lake décide d’arracher son ami au quotidien monotone du foyer.

Critique de Tootpadu

Il aura fallu attendre plus de quarante ans pour pouvoir se réjouir d’une histoire d’amour intergénérationnelle aussi poignante que Harold et Maude de Hal Ashby ! Peu de choses ont changé en près d’un demi-siècle, à l’exception de la tolérance plus large envers l’homosexualité. Simultanément, l’idolâtrie de la jeunesse a atteint des proportions si perverses, que le scandale provoqué par une différence d’âge importante est encore plus prompt à éclater. Comme c’est le cas depuis la nuit des temps dans notre civilisation machiste, cette indignation ne marche qu’à sens unique, puisque elle fait aisément abstraction des vieillards qui cherchent à vaincre la peur de mourir, en s’affichant avec de belles femmes sensiblement plus jeunes qu’eux. Pour tous les autres, être vieux ne rime plus avec beauté et désir depuis longtemps, selon les critères de sélection sociale qui caractérisent notre époque superficielle. Un constat qui commence presque à nous poser de sérieux problèmes, alors que nous ne nous trouvons statistiquement qu’à mi-chemin entre les deux extrémités de la vie.

Le réalisateur canadien Bruce LaBruce – à ne pas confondre avec Neil LaBute – était jusque là réputé pour des films destinés à un public gay, qui prônaient la provocation au détriment de la finesse formelle. Son volte-face compte parmi ce que nous avons vu de plus étonnant dans le domaine de la reconversion de cinéastes de niche à une approche plus accessible pour un groupe plus large de spectateurs, depuis Gregg Araki et Mysterious skin. Gerontophilia ressemble d’ailleurs esthétiquement à ce dernier, les écarts oniriques en moins. Car le récit bénifice d’une économie de moyens impressionnante, à travers une narration qui trouve le ton juste, même dans les situations les plus cocasses. Comme les adolescents victimes d’attouchements sexuels dans le film de Araki, le protagoniste a un secret honteux qu’il n’ose pas partager avec son entourage. Contrairement à eux, et bien qu’il ne soit pas vraiment un saint, il réussit néanmoins à vivre sa préférence et sa passion. Le temps est certes compté pour cette relation qui est stoppée net par de tristes réalités de la vie, plus fortes que l’amour. Mais le refus catégorique de Lake de laisser tomber son ami, afin de se conformer à l’image et au comportement conformistes qu’on attend de lui, en fait un héros romantique profondément touchant.

Il existe bien sûr des raisons très pratiques pour justifier le tabou social de l’amour entre deux êtres qu’une vie sépare. Grâce à ce film d’une sobriété magnifique, nous pouvons cependant rêver, le temps d’une séance de cinéma, d’un monde meilleur, où les fantasmes les plus farfelus n’auraient plus besoin de se cacher et où l’amour réciproque sous toutes ses formes pourrait s’épanouir, en dépit de tous les obstacles que la pudibonderie et la bienséance lui opposent. C’est donc à la fois une formidable leçon d’un cinéma doucement engagé et une belle utopie pour laquelle notre société n’est hélas pas encore prête que Bruce LaBruce nous offre généreusement avec ce film sans la moindre fausse note. Ou comment abolir petit à petit les interdits moraux avec un charme désarmant, qui repose largement sur ce couple parfaitement assorti, plein de fougue, d’érotisme et de pureté sentimentale.

 

Vu le 4 avril 2014, au MK2 BNF, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu: