Femmes de Visegrad (Les)

Femmes de Visegrad (Les)
Titre original:Femmes de Visegrad (Les)
Réalisateur:Jasmila Zbanic
Sortie:Cinéma
Durée:73 minutes
Date:30 avril 2014
Note:

En juillet 2011, l’Australienne Kym Vercoe part seule en vacances en Bosnie, un pays qui l’intrigue depuis longtemps. Motivée par les écrits de Ivo Andric et grâce à un guide touristique bien documenté, elle le découvre d’une façon plaisante et ludique. Elle tombe pourtant des nues quand elle apprend à son retour que la ville de Visegrad, qu’elle avait visitée, était pendant la guerre le théâtre d’atroces massacres et que dans son hôtel Vilina Vlas des centaines de femmes ont été violées et assassinées. L’hiver suivant, elle retourne en Bosnie, décidée de ne pas passer à côté cette fois de la tragédie historique, dont aucun monument ne tient compte sur place.

Critique de Tootpadu

Il n’y a rien de plus triste que de voyager seul. Partager les impressions des vacances à deux ou à plusieurs permet de compenser tant soit peu le côté désagréable du tourisme moderne, qui montre beaucoup de choses, mais qui ne les fait plus réellement vivre. L’immersion dans une culture étrangère, ainsi que sa compréhension sans idées préconçues, cela prend du temps et un esprit ouvert. Deux articles de luxe dont on ne dispose plus qu’avec parcimonie aujourd’hui. A notre humble avis, pour réellement s’imprégner du mode de vie propre à chaque culture, il faut y vivre ou au moins y accéder par le biais de personnes intégrées, qui pourront en dévoiler les secrets hors des circuits touristiques. Sinon, chaque voyage n’est qu’une nouvelle confrontation à notre propre condition de personne isolée, incapable de percer la surface de ce que constitue la vie selon les différents pays.

Toute cette préambule en guise d’explication pourquoi le nouveau film de Jasmila Zbanic nous laisse d’emblée dubitatifs. La démarche du personnage principal des Femmes de Visegrad est certes honorable. Mais elle s’inscrit aussi dans le cadre de ces entreprises idéologiques bien intentionnées, qui défendent férocement une cause sans rapport direct avec le vécu des personnes engagées. La danseuse Kym Vercoe y joue essentiellement son propre rôle, celui d’une femme qui est la seule à mener un combat perdu d’avance contre l’oubli. Tenir compte des horreurs qu’ont subies les femmes de cette ville en apparence très banale devient pour elle comme une idée fixe, qu’elle poursuit alors que personne ne l’accompagne, physiquement ou en tant que soutien moral, dans cette croisade humanitaire. La légende du redresseur de torts solitaire fonctionne comme le principal moteur d’un récit, qui ne met en perspective ce projet personnel qu’à travers l’indifférence, voire l’hostilité qu’il rencontre auprès des habitants de cette région reculée de la Bosnie.

La réflexion du film sur le devoir de mémoire est heureusement un peu plus consistante. Kym n’est pas une justicière aveuglée par la haine et une soif de vengeance illimitée. Elle ne s’attaque pas à ceux qui ont commis ces actes affreux, mais elle œuvre à la place de celles qui n’ont pas d’histoires à raconter. C’est pour elles qu’elle remue le couteau dans la plaie d’une guerre finie depuis vingt ans, mais dont le souvenir est encore trop vif pour tirer un trait définitif de réconciliation dessus. Au-delà du cadre des Balkans, la question de la bonne distance temporelle pour procéder à ce genre de retour en arrière douloureux, quoique nécessaire pour la santé mentale d’une nation, se pose alors. Car le même phénomène de commémoration difficile a lieu par exemple au Rwanda, cette autre catastrophe humanitaire des années 1990.

Aussi maladroite l’initiative de ce film nous paraisse-t-elle, d’un point de vue formel, il reste d’une sobriété appréciable, sans le moindre retour en arrière grandiloquent. La réalisatrice réussit au contraire quelques plans d’une tristesse poétique, renforcée surtout par les paysages hivernaux. C’est à ces moments-là qu’elle exprime avec une grande pudeur la tragédie d’une guerre prompte à oublier ses victimes, tandis que le dispositif global du film s’apparente davantage à une mission humanitaire impuissante.

 

Vu le 8 avril 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO

Note de Tootpadu: