De guerre lasse

De guerre lasse
Titre original:De guerre lasse
Réalisateur:Olivier Panchot
Sortie:Cinéma
Durée:95 minutes
Date:07 mai 2014
Note:

Alex a déserté de la Légion étrangère. Il n’en pouvait plus de la guerre en Afghanistan et revient à Marseille, le temps de se procurer de faux papiers avant de disparaître définitivement. Il reprend contact avec Titoune, l’ancien bras droit de son père Armand, et avec Rachid, son ami d’enfance et le fils de Raïssa, la femme avec laquelle son père vit depuis longtemps. Traumatisé par son passé de soldat et hanté par un ancien règlement de compte avec la mafia corse, qui l’avait obligé de s’exiler quatre ans plus tôt, Alex cherche surtout à revoir Katia, la sœur jumelle de Rachid. Mais contrairement à lui, elle a réussi à refaire sa vie depuis leur séparation.

Critique de Tootpadu

Marseille et sa pègre ont bon dos. Les rares fois que le cinéma français choisit la deuxième ville de l’Hexagone comme toile de fond, il se sert principalement de son statut de nid de criminels de toutes origines, bruyant et périlleux. Seuls les films de Robert Guédiguian peignent une image autrement plus folklorique de la cité phocéenne. Néanmoins, cet emploi perpétuel du même cliché ne doit pas automatiquement être considéré comme l’élément clef qui déciderait de la qualité d’un film. Car pour chaque L’Immortel de Richard Berry, une des pires caricatures de la mainmise du crime organisé sur Marseille, il y a un film aussi dur et sec que celui-ci. Le réalisateur Olivier Panchot sait en effet rester à l’écart des poncifs habituels des films de gangster, pour nous pondre une histoire de famille conflictuelle, mais rarement tortueuse.

Au début de De guerre lasse, le personnage principal est sans attaches, tel une bête traquée. Les vestiges de sa vie d’avant, sa carte de légionnaire et les uniformes de ses anciens camarades d’armes aperçus dans le train, s’estompent rapidement, au point que notre passé universitaire inachevé autour de la représentation de la Légion étrangère au cinéma n’aurait pas pu faire grand-chose de ce film, qui ne tarde pas à partir vers d’autres rives. Le retour d’Alex dans la ville de son enfance n’équivaut pas à la quête d’un havre de paix, susceptible de lui faire oublier ses souvenirs du champ de bataille. Son fardeau personnel remonte à plus longtemps, avant la parenthèse de l’engagement militaire expiatoire. Rapidement, sa carrière sous les drapeaux lui sert essentiellement à maîtriser physiquement ses adversaires, pendant qu’il cherche à recoller les morceaux d’une existence anéantie jadis par la violence affective au sein de sa famille recomposée.

Le basculement vers le ressort des vieilles rancunes de la part d’une progéniture mal aimée s’accompagne d’un ton de plus en plus embrouillé. Alors que le récit passionnait par sa rigueur, jusqu’au moment fatidique où toutes les vérités déplaisantes sont dévoilées, le dénouement dans les larmes et le sang a tendance à déraper vers une exagération formelle, plus vraiment en phase avec la lente montée de la tension dramatique, parfaitement maîtrisée auparavant. La narration nous a séduits toutefois par son habileté à sonder le décalage manifeste entre la roue de la fortune mortelle, qui tourne sans cesse jusqu’à ce que tous les caïds aient eu ce qu’ils méritaient, et un attachement à des traditions importées sur le continent par les Corses ou les pieds-noirs. Et si c’était leur incapacité à s’adapter au changement constant du monde, dans ses sphères criminelles et légales, qui avait été fatale à Armand et ses semblables, au lieu de l’arrivée inopportune d’un ange de la mort ? Toujours est-il que cela fait plaisir de voir enfin un film solide avec Tchéky Karyo, après une longue traversée du désert.

 

Vu le 10 avril 2014, à la Salle Pathé Lincoln

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

« On choisit pas ses parents,
on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus
les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher »
Maxime Le Forestier – Né quelque part

Le réalisateur Olivier Panchot aura œuvré longtemps dans l’ombre avant de connaître non seulement un succès critique mais public avec son second film De Guerre lasse. Après un premier film passé inaperçu en 2006 (Sans moi), son second est non seulement un thriller original mais également reflétant la ville cosmopolitaine de Marseille avec ses gangs mafieux, ses règlements de compte mais aussi une ville aussi belle que dangereuse. 

Cette histoire d’une famille recomposée dont le fils a du s’engager dans la Légion étrangère pour fuir un règlement de compte avec la mafia et qui revient quatre ans plus tard pour retrouver son amour de jeunesse révèle une véritable tragédie humaine et sociale. Le réalisateur et scénariste Olivier Panchot a tenu à s’éloigner de la vision telle celle de Alexandre Arcady pour le diptyque Le Grand Pardon. Nous sommes donc loin ici du milieu caricatural mafieux décrit dans de multiples films. La manière de présenter ses personnages, leurs interactions et de chercher une réelle mise en scène ne peut que retenir toute notre approbation. Ces personnages ont tous leurs propres blessures, semblent tous marquer par le sceau d’un destin auxquels ils ne peuvent échapper. Alex le fils d’un caïd pied noir déchu fuit non seulement son père pour ses actions passées mais aussi fuit ses engagements envers l’armée et ses responsabilités. Pourtant, il sera confronté à des choix difficiles et devra faire table rase du passé, pardonner certaines actions de sa famille pour régler ses comptes et protéger sa famille.

Loin d’être une peinture du milieu mafieux de Marseille, le film s’attache ainsi plus à décrire une famille de pied-noir dans un Marseille inquiétant et dangereux. Le réalisateur donne ainsi à deux excellents comédiens des rôles complexes et forts. Ainsi, Jalil Lespert  aussi bon comédien (Le promeneur du champ de Mars (2004), Ne le dis à personne (2006), Landes (2013)..) que réalisateur (Des vents contraires (2011), Yves Saint-Laurent (2014)) est de nouveau parfait dans ce rôle. Les scènes d’action dans lesquelles il est confronté à ce gang mafieux Corse nous rappelle celles de la quadrilogie Jason Bourne. Le réalisateur peut ainsi s’appuyer sur un véritable comédien aussi à l’aise dans une scène dramatique que d’action. De la même manière, dans le rôle du patriarche de cette famille reconstituée, Tchéky Karyo montre une nouvelle fois qu’il est bien l’un des meilleurs comédiens français. Loin de chercher des films commerciaux, ces deux comédiens préfèrent investir leur talent dans des œuvres pour lesquelles ils ressentent un véritable engagement. La réussite de ce second film de Olivier Panchot leur doit beaucoup mais également aux seconds rôles tels la jeune comédienne Sabrina Ouazani. Celle-ci démontre qu’elle est dorénavant une jeune comédienne sur laquelle il faudra compter. 

 De guerre lasse est donc l’excellente surprise parmi les sorties en salles du mercredi 7 mai. C’est un film que nous sommes fiers de défendre et qui témoigne que le cinéma français continue à nous faire découvrir de nouveaux réalisateurs maîtrisant non seulement l’écriture mais également l’image. Loin des blockbusters sans âme découvrir un tel film ne peut que donner envie de défendre notre cinéma, sa création et son originalité. Nous attendons donc avec impatience le prochain film de Olivier Panchot

Vu le 05 mai 2014 à l’Auditorium M6

Note de Mulder: