Dans la cour

Dans la cour
Titre original:Dans la cour
Réalisateur:Pierre Salvadori
Sortie:Cinéma
Durée:98 minutes
Date:23 avril 2014
Note:

Souffrant d’insomnie, Antoine met fin à sa modeste carrière de chanteur. Le seul travail que le pôle emploi lui trouve est un poste de gardien dans un immeuble de l’est parisien, alors qu’Antoine n’apprécie pas vraiment le côté convivial de sa nouvelle occupation. Fraîchement retraitée, la gérante de la copropriété Mathilde l’embauche quand même, parce qu’il dégagerait quelque chose de rassurant selon elle. Cet air impassible d’Antoine lui sera même d’un grand secours, lorsqu’elle se fourvoie dans une affaire de crainte déraisonnable d’affaissement de l’immeuble. Tandis que son mari veut déjà l’interner, Antoine, un homme qui ne sait pas dire non, même aux plus folles des requêtes, la suit malgré lui dans son délire.

Critique de Noodles

Lorsqu’un ancien rocker abandonne sa guitare et plaque son groupe pour devenir le concierge d’un immeuble parisien un peu bobo, on s’attend forcément à du remue-ménage. Qui pouvait mieux incarner ce personnage marginal que Gustave Kervern, acteur et réalisateur de plusieurs ovnis cinématographiques du cinéma français  tels que Louise-Michel (2008), Mammuth (2010) ou plus récemment Le Grand Soir (2012) ? A ses côtés, une Catherine Deneuve surprenante dans le rôle de Mathilde, la propriétaire complètement fantasque de l’immeuble. C’est cet étonnant duo d’acteurs qui est au centre du nouveau long-métrage de Pierre Salvadori, adepte des comédies décalées jouant sur l’opposition des caractères. Salué pour ses films des années 90 et notamment Les Apprentis (1995), le réalisateur avait cependant quelque peu déçu avec ses derniers Hors de Prix (2006) et De vrais mensonges (2010).

En un sens, Dans la cour marque un tournant dans la filmographie de Salvadori, qui délaisse ici la comédie légère pour s’aventurer dans la comédie dramatique avec le personnage d’Antoine qui apporte au film un côté désabusé et même sombre. Certes, Dans la cour est un film drôle, mais c’est également le récit de la déchéance d’un junkie passant son temps à essayer de supporter son état de manque en descendant des bières. Cet attachant looser ne peut même pas chercher de réconfort auprès de Mathilde, et c’est au contraire elle qui trouvera en lui le soutien dont elle a besoin. En effet, inquiétée par une vulgaire fissure dans un mur de son appartement, elle sombre progressivement dans la folie et seule la compagnie d’Antoine lui permet de se sentir comprise.

Le reste de l’immeuble n’est pas occupé par des gens plus saints d’esprit, et il s’avère même être un véritable asile de fous. Les habitants y sont plus invraisemblables les uns que les autres : un voisin aboie par sa fenêtre en espérant recevoir une réponse de la part du chien d’un membre d’une secte étrange qui squatte l’atelier. Fallait-il vraiment alourdir le film des révélations tragiques de Stéphane, l’ancien footballeur pro devenu toxico et voleur de vélos à la suite d’une blessure grave ? Le côté mélodramatique étant déjà assuré par Antoine et Mathilde, la profondeur accordée à ce personnage interprété par Pio Marmaï parait peu utile.

Finalement, Pierre Salvadori nous offre une tragicomédie mélancolique et amère, dont tout le charme repose sur le couple formé par Gustave Kervern et Catherine Deneuve. Quelques faiblesses sont à observer du côté d’un scénario qui peine parfois à avancer, mais les dialogues intelligemment écrits font de Dans la cour un film à la fois drôle et profond.

 

Vu le 18 Avril 2014, à l’UGC Ciné Cité des Halles.

Note de Noodles:

Critique de Tootpadu

Le métier de gardien d’immeuble est en voie d’extinction. Alors que le cinéma français se complaît encore à colporter le mythe de la bonne âme de la copropriété, la réalité des villes d’aujourd’hui est d’ores et déjà plus impersonnelle, avec des sociétés opportunistes qui font travailler sans relâche de jeunes immigrés africains. Or, ce n’est pas vraiment l’occupation du protagoniste qui est au cœur du huitième film de Pierre Salvadori. Elle est au mieux un prétexte pour permettre à deux personnages atteints d’un léger grain de folie de se rencontrer. De même, la vie de quartier ne brille pas non plus par son exubérance insouciante, comme cela a pu être le cas un arrondissement plus au sud et dix-huit ans plus tôt dans Chacun cherche son chat de Cédric Klapisch. Alors que Garance Clavel, la vedette de ce dernier fait une apparition aussi tardive que fantomatique ici, Dans la cour est avant tout un film porté sur la mélancolie.

Personne ne brille par une perfection excessive au fil d’un récit, qui met plutôt un point d’honneur à accompagner avec beaucoup de sympathie les petites fêlures des personnages. L’ordre y est perçu tel un intrus, à l’image de ce voisin passablement coincé qui cherche à le faire respecter sans trop se mouiller. Cela ne veut pas dire que le concierge Antoine fait régner un bordel pas possible entre les murs de cet immeuble très ordinaire. Toutefois, le scénario met régulièrement l’accent sur ces moments de flottement, voire d’égarement, comme les arrêts maladie officieux, provoqués par une consommation soutenue de substances plus ou moins légales. Ce sont les petites failles et les erreurs sans trop de gravité qui subjuguent ici, au détriment d’une intrigue que l’on aurait aimé un peu moins déboussolée que ces locataires et leur gardien en pleine perte de repères.

La majesté de l’imperfection que le film défend avec détermination, elle se cristallise le plus précisément dans le personnage de Mathilde, un rôle de grand-mère qui fait fi des vestiges de beauté souveraine auxquels Catherine Deneuve a tendance à s’accrocher encore de temps à autre. Les ravages mentaux de la vieillesse et du nouveau train de vie propre à la retraite lui confèrent une tristesse et une impuissance qui trouvent leur seul et unique refuge auprès d’Antoine, un vieillard avant l’heure qui ne s’étonne plus de rien. Ce détachement presque maladif s’accorde parfaitement à l’investissement hystérique de Mathilde dans une cause que seuls les esprits les plus farfelus du quartier osent partager avec elle.

Enfin, la mise en scène dispose de suffisamment de noblesse pour ne jamais se moquer des écarts de conduite des personnages. Elle s’emploie au contraire à cultiver sans excès une certaine tradition de l’absurde à forte influence humaine. Même si pareille communauté d’habitation est en voie de disparition, ce film s’évertue à souligner la facette la plus touchante de la bêtise humaine, celle qui pardonne même les aberrations les plus insensées. Car celle-là, croyez-y sans crainte, est faite pour durer, de préférence dans le monde de la fiction, où elle ne nous incite point à nous arracher les cheveux face à tant d’ineptie.

 

Vu le 8 mai 2014, au MK2 BNF, Salle 3

Note de Tootpadu: