Voie de l'ennemi (La)

Voie de l'ennemi (La)
Titre original:Voie de l'ennemi (La)
Réalisateur:Rachid Bouchareb
Sortie:Cinéma
Durée:117 minutes
Date:07 mai 2014
Note:

Après avoir purgé une peine de prison de dix-huit ans pour meurtre, William Garnett est remis en liberté conditionnelle. Emily Smith, son agent de probation fraîchement arrivé dans la petite ville au Nouveau Mexique, près de la frontière, est censée l’aider à reprendre une vie normale. Elle se heurte toutefois à la rancune de Bill Agati, le shérif local dont l’adjoint avait été assassiné par Garnett. Bien que ce dernier fasse tout son possible pour se réinsérer, son passé ne tarde pas à le rattraper, en la personne de son ancien ami Terence, un chef de gang qui souhaiterait faire de lui son bras droit au Mexique.

Critique de Tootpadu

Quand il prend de la distance par rapport à ses origines, le réalisateur Rachid Bouchareb est plutôt adroit dans l’évocation de destins humains qui sortent de l’ordinaire. C’est ainsi dans ses films au lien ténu avec le monde maghrébin, comme ici ou dans son conte anglais d’il y a cinq ans, que son regard réussit à s’affranchir des poncifs de l’engagement culturel et de la revendication d’un héritage d’immigré pour mieux évoquer la fragilité de l’âme humaine dans des termes cinématographiques saisissants. Ce que son cinéma perd alors du côté de la rage sociale, quasiment muette de nos jours dans une France qui se réfugie dans le divertissement ou les petites perles artistiques au lieu d’affronter sur le grand écran les problèmes sociaux les plus pressants, il le gagne dans la justesse sentimentale de la description pourtant guère complaisante de ses personnages. La voix du réalisateur ne prêche point un monde meilleur, où les solutions rassurantes viendraient réconforter ceux et celles que le sort a le plus durement éprouvés. A travers un juste équilibre entre la sobriété du ton et l’intensité émotionnelle par intermittence, elle s’emploie davantage à documenter une volonté indéfectible de se battre, malgré et contre tout.

Librement inspiré du film de José Giovanni, Deux hommes dans la ville, La Voie de l’ennemi évoque la tentative acharnée d’un repris de justice de renouer avec une vie normale, voire de la découvrir pour la première fois. La narration reste presque exclusivement aux côtés du protagoniste : un homme marqué par une longue peine de prison, qui s’appuie désormais sur la religion pour canaliser sa haine viscérale dont le scénario ne dévoile les causes probables que d’une manière approximative. De toute façon, le raisonnement du film n’est point redevable à une approche psychologique sommaire. Ce qui y fait la force des personnages – à moins qu’il ne s’agisse de leur talon d’Achille –, c’est leur volonté presque aveugle de vivre conformément à leurs croyances. De la variété de ces dernières, de la confiance à l’islam, en passant par le patriotisme du shérif qui est néanmoins très loin d’être un homme insensible, naît alors un potentiel dramatique que le film exploite sans un opportunisme excessif. Le fatalisme de l’intrigue, esquissé dès les premières images qui annoncent d’ores et déjà la rechute de Garnett dans un monde de ténèbres, n’y devient jamais lourd, même si la deuxième moitié du film manque un peu de souffle.

Enfin, si l’interprétation de Forest Whitaker est des plus solides, ce sont avant tout les seconds rôles tenus par Harvey Keitel et Brenda Blethyn qui nous ont passionnés. Tandis que le premier fait son grand retour à la frontière mexicaine, trente ans après Police frontière de Tony Richardson, la deuxième trouve une nouvelle fois un personnage remarquable grâce à Rachid Bouchareb. Son contrôleur judiciaire est le véritable cœur du film, sa force vitale dont le caractère touchant s’avère cependant inapte pour rompre durablement le cercle vicieux dans lequel le personnage principal est enfermé malgré lui.

 

Vu le 24 avril 2014, à la Salle Pathé Lamennais, en VO

Note de Tootpadu: