Bird people

Bird people
Titre original:Bird people
Réalisateur:Pascale Ferran
Sortie:Cinéma
Durée:128 minutes
Date:04 juin 2014
Note:

Audrey travaille comme femme de chambre à l’hôtel Hilton près de l’aéroport de Roissy Charles-De-Gaulle. Un jour, l’homme d’affaires américain Gary y fait escale pour une réunion de travail, avant de poursuivre son voyage vers Dubaï. Pris d’une crise d’angoisse en pleine nuit, il décide finalement de tout plaquer et de recommencer une nouvelle vie en Europe.

Critique de Tootpadu

Le nouveau film de Pascale Ferran a l’air de recommencer plusieurs fois. De cette forme brouillonne ne naît pourtant pas un film informe, mais au contraire une œuvre très moderne, qui fascine autant qu’elle laisse perplexe. Car chacune des trois ou quatre parties de Bird people se distingue par un ton singulier, comme si la réalisatrice cherchait à dresser en toute subtilité un état des lieux de notre monde actuel, où la vitesse des moyens de transport est directement proportionnelle à la perte de ce qui rend les individus et leur environnement uniques. Autant écrire qu’il s’agit d’un film qui invite à la perte des repères, d’une manière d’ailleurs particulièrement hardie à la suite de son dernier revirement, à garder secret à la demande expresse des producteurs, tout en incluant quelques observations sociales poignantes.

Les premières images de ce film, surtout stimulant du côté de l’abolissement de nos habitudes d’un flux narratif continu, doivent rappeler avec un peu trop de réalisme le cauchemar des heures de pointe dans les métros et RER de la capitale aux milliers d’usagers qui s’y pressent en chaque début et fin de journée de travail. La caméra quitte par la suite cet univers rythmé par des voyageurs impatients et des rames bondées pour s’enfoncer dans un autre espace de l’anonymat citadin, plus froid et inhospitalier encore que la fourmilière des tourniquets, des couloirs et des quais de métro : celui des aéroports, ces lieux de passage qui se ressemblent parfaitement à travers la planète, de Paris à Dubaï, et auxquels seule l’armée invisible du personnel confère un minimum de personnalité. Parmi ces hommes et ces femmes qui gravitent autour du ballet incessant des atterrissages et des décollages d’avions figure Audrey, une jeune femme de chambre qui élargit continuellement les tranches d’horaires de son emploi à mi-temps, tout en se rendant compte avec effroi du temps considérable qu’elle passe chaque semaine dans les transports pour y aller.

Son pendant masculin, Gary, subit une pression existentielle sensiblement plus insoutenable. Habitué au confort basique des hôtels tout à fait interchangeables d’une escale à l’autre, il ne prend réellement la mesure de son train-train international qu’après quelques signes annonciateurs de la précarité de la vie. Rien de pesant ou de trop insistant, bien sûr, puisque la mise en scène se démarque précisément par son allégresse détachée. Juste assez pour une prise de conscience et un choix impulsif lourds de conséquences. Alors que cette partie du film ouvre la voie à toute une réflexion sur la possibilité concrète de sortir volontairement du mécanisme usant d’une vie rangée, elle n’oublie pas de souligner le fait que cette liberté-là a un prix élevé : en l’occurrence un long règlement de comptes via Skype avec la femme de Gary et le luxe matériel de pouvoir s’affranchir de tout ce qui est contraire au désir de liberté du personnage.

Non seulement, Audrey ne se trouve pas encore face au moment fatidique de la crise de la quarantaine, elle ne dispose pas non plus des moyens financiers nécessaires à un tel changement de cap radical. Du coup, le récit lui réserve une drôle d’échappatoire, légère et aérée qui pousse sans crier gare le film vers le conte fantastique. En dehors des prouesses techniques employées pour rendre cette partie du film passablement crédible, cette dernière ne perd pas complètement de vue une certaine précarité sociale, par exemple à travers le sort peu enviable du réceptionniste sans domicile fixe.

Quand les différents fils de la narration se retrouvent in extremis, nous ne savons plus trop quoi penser de ce film animé par une grande liberté formelle. En tout cas, Pascale Ferran prouve une fois de plus, grâce à lui, qu’elle est actuellement une des réalisatrices les plus imprévisibles et intéressantes du paysage cinématographique français.

 

Vu le 30 avril 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Avec Bird people, Pascale Ferran nous livre un objet cinématographique assez curieux. Le quatrième long-métrage de la réalisatrice française s’ouvre par une séquence qui nous montre une scène du quotidien des plus banales, puisqu’il s’agit d’images d’inconnus dans le métro parisien. En choisissant de filmer cet épisode d’une journée au cours duquel il ne se passe souvent presque rien, y a-t-il dans cette première séquence une volonté de dresser le portrait d’une société monotone et aliénante ? Certainement, mais ici c’est davantage l’intériorité des individus qui est dépeinte. En effet, la bande son permet au spectateur de connaitre les pensées qui parcourent l’esprit des voyageurs, quand ce n’est pas la musique de leur baladeur qui se fait entendre. Ces premières minutes sont annonciatrices de ce qui va suivre : Bird people est un film qui ouvre le champ des possibles, un film qui choisit de mettre l’accent sur les sentiments et l’intimité de personnes évoluant dans un monde profondément ennuyant.

Ce monde, c’est celui auquel appartiennent Gary et Audrey. A première vue, les deux personnages principaux de Bird people n’ont pas grand-chose en commun. Le premier est un riche homme d’affaires américain, tandis que la seconde est une jeune femme de chambre travaillant dans un hôtel près de l’aéroport de Roissy Charles-De-Gaulle. Afin d’accentuer le contraste entre ces deux personnes que tout semble opposer, le film est même divisé en plusieurs parties, se focalisant d’abord sur Gary puis sur Audrey. Pourtant, ces destins à priori si éloignés vont peu à peu s’avérer très liés : tous deux sont comme poussés par un élan de liberté, une brûlante envie de s’évader loin de tout ce qui a régi leur existence jusqu’à présent. 

Pour Gary, cela signifie avant tout couper les ponts avec son ancienne vie visiblement très confortable : c’est-à-dire abandonner un boulot peu épanouissant, mais également une femme et des enfants. Ainsi, le film ne nous épargne pas les conséquences douloureuses et cruelles qui découlent d’une décision si égoïste. C’est notamment le cas lors de l’explication entre Gary et sa femme via leurs webcams, une scène dont la longueur est peut-être représentative de quelques défauts de rythme dont peut souffrir Bird people par moment. Pour Audrey, personnage interprété par la pétillante Anaïs Demoustier qui fait preuve ici de beaucoup de justesse, la liberté ne sera pas atteinte en faisant de pareils sacrifices mais plutôt par le biais d’un envol narratif imprévisible. Ce dernier prend le spectateur de court en faisant brusquement glisser le film vers le fantastique, introduisant ainsi une dimension très poétique mais également quelques éléments qui relèveraient presque d’un comique de cartoon.

En tout cas, cette véritable ode à la liberté laissera le spectateur partagé entre douce tristesse et profonde sensation d’optimisme. Pascale Ferran a su mélanger les genres, combiner réel et imaginaire, et s’affranchir de certaines règles trop conventionnelles avec ce film agréablement surprenant.

 

Vu le 30 avril 2014, au Club de l'Etoile, en VO.

Note de Noodles: