Wolf

Wolf
Titre original:Wolf
Réalisateur:Jim Taihuttu
Sortie:Cinéma
Durée:123 minutes
Date:04 novembre 2014
Note:

A peine sorti de prison, Majid est censé se tenir à carreau. Il fait acte de présence au travail dans un marché de fleurs, qui lui garantit sa liberté conditionnelle. Mais le plus clair de son temps, il le passe avec son ami Adil, en faisant le genre de casse qui l’avait conduit derrière les barreaux. Sur les recommandations d’un ami rencontré en taule, Majid prend contact avec Ben, un entraîneur de kickboxing, qui voit tout de suite un grand potentiel chez le jeune homme, malgré sa tête brûlée. Or, c’est justement cette dernière qui va lui attirer à nouveau des ennuis, dès qu’il accepte de travailler pour Hakan, le chef de la pègre turque.

Critique de Tootpadu

L’extrême droite aux Pays-Bas avait partiellement basé sa campagne lors des récentes élections européennes sur l’affirmation de son leader Geert Wilders, qu’il serait temps de renvoyer les immigrés marocains chez eux. Heureusement, pareille incitation à la xénophobie barbare n’y avait pas porté ses fruits, contrairement aux résultats navrants du même courant détestable en France. Montrer que la réalité est toute autre dans un pays généralement réputé pour son ouverture d’esprit et son laxisme légal, cela est l’une des vocations de ce film néerlandais poignant. L’intrigue suit un petit voyou d’origine marocaine, qui se laisse aveugler par l’argent facile, gagné grâce à ses activités illégales. Rien de particulièrement original dans cette leçon sur l’échec de l’immigration, si ce n’est que la narration s’attache à la dimension humaine de ce personnage, prisonnier avant tout du cercle vicieux des choix trop faciles ou irréfléchis. Derrière la brute et le cliché ambulant de la « racaille » qui traîne dans la cité, toujours prêt à nuire à la société en commettant des larcins plus ou moins graves, il se cache un homme, sensible au rôle qu’il est censé jouer dans le cadre d’une famille, qui part à la dérive, aussi par sa faute.

En dépit de la photographie en noir et blanc et du sujet comparable, Wolf n’est pas La Haine de Mathieu Kassovitz. Cette différence ne vient pas uniquement du décalage dans le temps de près de vingt ans, ni des cultures finalement pas si dissimilaires entre les banlieues en France ou aux Pays-Bas. La haine qu’éprouve le protagoniste du premier film que Jim Taihuttu a réalisé seul se dirige surtout contre sa propre condition de raté, et beaucoup moins contre les représentants des forces de l’ordre. Majid est parfaitement conscient d’avoir loupé les quelques occasions que sa vie lui a réservées jusque là. Il s’efforce d’ailleurs à transmettre à son frère cadet une philosophie de vie moins tributaire du machisme et de l’apologie du crime que celle qui gouverne sa propre existence de plus en plus déréglée. Le rôle qu’il joue auprès des siens, d’un côté celui du fils indigne et de l’autre celui du frère attentionné qui fait souvent escale à l’hôpital où son frère aîné mourant est soigné, n’a hélas pas d’incidence sur son comportement dans la jungle des hors-la-loi qu’il s’est choisi comme habitat, plus par facilité que par nécessité.

Le véritable dilemme moral, voire le problème existentiel de Majid, que la narration développe sans faire preuve de trop d’optimisme, c’est que même dans ce milieu à la violence omniprésente, il ne sait toujours pas saisir les bonnes opportunités. Les figures paternelles et a priori bienveillantes à son égard n’y manquent pas, de l’entraîneur au caïd qui gère son empire sans états d’âme, comme un homme d’affaire pour qui seul le rendement de l’investissement compte. Quitte à tomber victime tôt ou tard d’un règlement de compte, leur poulain aurait pu s’y faire sa petite place au soleil, soit en tant que champion de boxe, soit comme bras droit fiable et efficace. Qu’il n’en est finalement rien nous renvoie à la tragédie de toute une génération de fils et de filles d’immigrés sacrifiés sur l’autel du statu quo social dans leur pays d’adoption, trop lent à évoluer pour réellement leur donner leur chance.

En tant que film de genre sans virtuosité formelle superflue, cette histoire de gangster brute et sèche nous rassure en tout cas sur la vitalité du cinéma européen. Ainsi que sur sa capacité de tenir compte de faits de société préoccupants, sans pour autant en faire de la matière à propagande. Il y aura toujours une minorité de spectateurs qui verront en Majid un héros tragique, une sorte de Scarface des temps modernes dont il faudra suivre l’exemple à la trajectoire d’Icare. Espérons seulement que des films au message ambigu et intelligent comme celui-ci permettrons de voir le crime non pas tel une fatalité, mais en tant que piège qui risque de happer un nombre incalculable de déçus, si notre société ne tente pas avec plus de détermination de les inclure.

 

Vu le 27 mai 2014, à la Salle ARP, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Du simple vol de scooter au braquage d’un fourgon blindé transportant des centaines de milliers d’euros, il n’y a visiblement qu’un pas. Celui qui tente de gagner sa vie en multipliant les magouilles en tout genre n’est pourtant pas forcément conscient qu’une chose en entrainant une autre, il peut passer plus vite qu’il ne le croit du statut de délinquant à celui de criminel. Majid, le héros du nouveau film de Jim Taihuttu  (coréalisateur du film Rabat sorti en 2011), n'ignore rien des risques qu’il encourt en adoptant le mode de vie d’un voyou motivé par l’appât du gain puisqu’il sort tout juste de prison. Ce n’est certainement pas son boulot peu épanouissant dans un marché de fleurs qui suffit à le convaincre d’abandonner ses activités douteuses afin de se réinsérer au mieux dans la société et devenir un citoyen exemplaire.

Evidemment, persévérer dans la voie de l’illégalité n’est pas du goût de sa famille, et plus particulièrement de son père qui estime avoir travaillé de manière honnête pendant assez longtemps pour ne pas avoir à regarder impuissant son fils devenir un bandit. Ce véritable fossé qui sépare une génération habituée à trimer pour s’en sortir et une nouvelle génération cédant à la tentation de l’argent facile est un sujet bien souvent présent dans les films narrant la vie de jeunes évoluant dans des quartiers défavorisés. Des quartiers qui, dans de nombreux pays européens, sont en grande partie habités par des populations d’origine étrangère. Comme s’attache à nous le montrer Wolf, les Pays-Bas ne font pas exception à la règle puisque les communautés marocaines ou turques sont les plus représentées dans ce film de gangster, qui se présente donc également comme un témoignage de l’échec des politiques d’intégration sociale et économique des populations issues de l’immigration.  

Pour Majid, seule la pratique du kickboxing, un sport dans lequel il excelle, pourrait constituer une échappatoire. Pourtant ici non plus rien n’est simple : si le jeune homme est tenté de suivre les conseils de son coach et mettre de coté ses mauvaises fréquentations afin de se consacrer pleinement à cette activité dans laquelle il pourrait avoir de l’avenir, il va aussi découvrir que le milieu des sports de combat n’est pas exempt de la présence de la mafia locale. Finalement, plutôt que d’être sa porte de sortie, le kickboxing lui ouvrira les portes du milieu de la criminalité organisée où les gains sont plus importants, tout comme les risques à encourir.

Il serait aisé de rapprocher Wolf au film La Haine (1995), ne serait-ce que pour leur utilisation du noir et blanc qui ne trouve d’ailleurs ici pas de réelle utilité contrairement au film de Mathieu Kassovitz. Si les thèmes abordés dans les deux long-métrages sont certes assez similaires, cette comparaison semble quelque peu précipitée et à bien des égards Wolf se rapproche nettement plus de la trilogie Pusher, notamment du premier volet (1996). Wolf comme Pusher présentent en effet un schéma narratif similaire : un voyou se laissant entrainer dans une spirale criminelle, et commettant des erreurs de sorte que l’étau se resserre peu à peu sur lui. Malgré une réalisation bien maitrisée, le film de Jim Taihuttu manque pourtant de ce qui fait la réussite des trois films de Nicolas Winding Refn : de l’originalité et une prétention artistique plus prononcée.

 

Vu le 27 mai 2014, à la Salle ARP, en VO.

Note de Noodles: