Mentor (Le)

Mentor (Le)
Titre original:Mentor (Le)
Réalisateur:Jean-Pierre Mocky
Sortie:Cinéma
Durée:85 minutes
Date:10 avril 2013
Note:

Monsieur Ludovic n’a plus un sou. Sa maison est saisie, son compte bancaire clôturé et son ex-femme ne recevra plus de pension alimentaire. Sans domicile fixe, ce vieil homme distingué réussit tant bien que mal à survivre, grâce à de petites combines. Sur la terrasse d’un café, il entend la jeune et belle Annette discuter avec son futur fiancé Christian, un con complet qui défend une vision archaïque du mariage. Ludovic décide alors d’aider Annette avant qu’elle ne s’engage définitivement dans une relation vouée à l’échec. Il fait d’abord semblant de l’engager comme secrétaire, mais finit par lui avouer qu’il souhaite être son mentor.

Critique de Tootpadu

Quand on est vieux, on n’a plus rien à prouver. Si la santé et le portefeuille le permettent, on pourra tranquillement profiter du temps qu’il reste à vivre. Avec ses bientôt 85 ans, Jean-Pierre Mocky a au moins le privilège des deux premières conditions pour un troisième âge serein. Un réalisateur infatigable à la filmographie impressionnante, il œuvre désormais en marge du cinéma commercial, faute de producteurs qui financeraient ses histoires, elles aussi animées par un esprit de vieille canaille anarchiste. Depuis le début du siècle, le cinéma de Jean-Pierre Mocky est encore plus personnel qu’auparavant et surtout libéré, grâce à son mode de fabrication quasiment artisanal, des impératifs thématiques et narratifs qui garantiraient un quelconque retour sur investissement. En somme, les spectateurs qui s’aventurent à proximité d’un film récent du réalisateur sont a priori prévenus qu’il n’y aura qu’un spectacle à la Mocky à voir, avec tout ce que cela implique en termes de refus catégorique de se plier à la bienséance du politiquement correct.

Ainsi, Le Mentor met à l’honneur un homme démuni, qui trouve néanmoins un nombre incroyable de subterfuges pour subsister dans sa précarité matérielle et accessoirement affective. De ce point de vue-là, cette comédie irrévérencieuse s’apparente à un véritable manuel de larcins sans trop de risques, mais qui rapportent gros. Sauf que dans la réalité, la vie aux crochets de la société ne se passerait sans doute pas d’une manière aussi fluide que la série de petits vols réussis, qui permettent à Ludovic de mener à bien son projet de Cupidon. Le fait que ses victimes sont soit dupes, soit naïfs, voire les deux à la fois, s’inscrit cependant dans un commentaire social plus vaste et acerbe, par lequel le récit brille temporairement. Le personnage interprété par Jean-Pierre Mocky est un profiteur de premier ordre d’un système au fonctionnement profondément injuste. Du coup, il se sent exempt de toute culpabilité et libre de vociférer contre un monde, qui ne lui avait jamais fait de cadeau.

Cette philosophie d’un franc-tireur dépourvu d’inhibitions et de scrupules est le point fort du film, alors que son point faible se trouve du côté de l’interprétation des rôles secondaires, celle de Solène Hebert dans celui de Annette en tête. Toute la gouaille savoureuse de Ludovic est vainement en quête d’un pendant à sa hauteur, susceptible de rééquilibrer un film qui a tendance à partir dans plusieurs directions à la fois. Par conséquent, cette vision iconoclaste de la France d’aujourd’hui, peuplée autant d’individus marginaux que de culs bénits hypocrites, déçoit légèrement nos attentes à l’égard d’un règlement de comptes sans retenue. Jean-Pierre Mocky y montre certes les crocs afin de s’attaquer à un statu quo qui ne veut plus de lui. Mais en même temps, les moyens modestes à sa disposition et sa propension à un humour trop caustique limitent sensiblement l’envergure d’un film finalement presque médiocre.

 

Vu le 30 juin 2014, à la Cinémathèque Française, Salle Georges Franju

Note de Tootpadu: