Titre original: | White bird |
Réalisateur: | Gregg Araki |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 91 minutes |
Date: | 15 octobre 2014 |
Note: |
A l’automne 1988, Eve, la mère de Kat, disparaît soudainement sans laisser de trace. Sa fille unique s’interroge sur les raisons de cet abandon inexpliqué. Alors qu’elle soupçonne que sa mère n’en pouvait plus de son existence aseptisée, elle cherche justement à donner du piment à sa propre vie de jeune adulte. Pour ce faire, elle explore une sexualité moins ennuyeuse que les rapports avec son copain et voisin Phil. Mais même une affaire avec l’inspecteur Scieziesciez, en charge de l’enquête et deux fois plus âgé que Kat, ne permet pas à cette dernière de se défaire complètement des souvenirs d’enfance troublants avec sa mère.
Avec son nouveau film, Gregg Araki reste entièrement fidèle à lui-même. Cette simple phrase résume parfaitement les joies et les peines que nous a inspirées la nouvelle épopée kitsch d’un réalisateur que nous devrions a priori idolâtrer. Les éléments initiaux de l’univers de Gregg Araki se trouvent en effet pile dans notre champ d’appréciation. Son regard décalé sur une Amérique des exclus, saupoudré d’une volonté d’interroger les repères faussement rassurants d’une société hétérocentrique, fait tache dans le contexte de la production indépendante. Là où ses confrères font preuve d’une certaine frilosité lorsqu’il s’agit d’inclure des personnages hauts en couleur, Araki met pratiquement un point d’honneur à concevoir un cinéma plus outrancier que celui de John Waters. Au détail crucial près que les décors feutrés aux couleurs artificiels, omniprésents dans ses films, suspendent toute possibilité de choquer réellement le spectateur bien pensant.
Car autant le réalisateur porte fièrement le flambeau de la contestation doucement gaie, autant il s’inspire avec une docilité frustrante des ressorts dramatiques d’un feuilleton de télé pour faire avancer ses histoires. Ainsi, ses intrigues se déroulent toujours sur un ton flegmatique dû au recul qu’instaure la relecture un brin cynique des passages obligés de ces péripéties aux seuls enjeux triviaux. Dans White bird, le « cirque vicieux » dont le réalisateur peine à s’échapper se manifeste à travers les déboires guère originaux d’une adolescente, traumatisée par la disparition de sa mère et du coup prête à toutes sortes d’actes dépravés pour trouver sa voie. Hélas, la monotonie qui accable le quotidien du personnage finit par se répercuter sur le film lui-même, avec son perpétuel assouvissement de rêves bénins qui n’apportent aucune satisfaction durable. Les rares revirements policiers ou mi-érotiques, mi-romantiques de l’histoire s’avèrent en effet insuffisants pour dynamiser un récit dépourvu du moindre soupçon d’urgence ou d’empressement.
La cohérence formelle du film par rapport à l’œuvre du réalisateur n’est pas non plus d’un grand secours. Plus très loin de l’asphyxie répétitive dont Hal Hartley était tombé victime à la fin du siècle dernier, après avoir tourné une énième fois le même type de film, Gregg Araki risque ici de faire du surplace esthétique et thématique. Ce qui est d’autant plus regrettable que l’époque que le film décrit coïncide à peu de choses près avec celle où le réalisateur commençait à se faire un nom. Curieusement, la reconstitution de l’air du temps à la fin des années 1980 ne compte pas parmi les points forts du film, à cause de l’attachement démesuré à cet espace-temps en suspension dans lequel toutes les histoires imaginées par le réalisateur semblent avoir lieu. Par conséquent, le fil rouge de l’œuvre de Gregg Araki, c’est-à-dire la représentation plutôt anodine de l’homosexualité, subit des écarts anachroniques peu concluants avec d’un côté l’ami adolescent frustré, plutôt à la mode pendant la décennie suivante, et de l’autre une petite infidélité qui aurait plus vraisemblablement créé le scandale trente ans plus tôt, comme dans Loin du paradis de Todd Haynes.
Bref, ce film perpétue la fâcheuse relation douce-amère que nous entretenons depuis longtemps avec la filmographie de son réalisateur. Au mieux, il alimente simultanément notre frustration de ne toujours pas le voir gagner en maturité et en hardiesse formelle et notre espoir que ses intentions irrévérencieuses dépasseront le stade embryonnaire, sinon avec ce film-ci, peut-être avec le suivant …
Vu le 30 juillet 2014, au Cinéma du Panthéon, en VO
Note de Tootpadu:
Quatre années se sont déjà écoulées depuis le loufoque et explosif Kaboom (2010), alors que son réalisateur Gregg Araki revient sur le devant de la scène avec un nouveau long-métrage intitulé White Bird. Reconnu comme étant l'une des figures incontournables du cinéma underground depuis le début des années 90, notamment grâce à sa « teenage apocalypse trilogy » (Totally F***ed up (1993), The Doom Generation (1995), Nowhere (1997)), Araki s'attaque ici à l'adaptation cinématographique d'un roman de Laura Kashischke, publié en 1999.
Sur le papier, ce projet pourrait nous sembler autrement plus sobre que le reste d'une œuvre marquée par le goût de la provocation, mettant toujours un point d'honneur a détonner dans un paysage cinématographique bien souvent trop frileux. Gregg Araki signerait-il ici son film de la maturité, bien décidé à s'éloigner de son style excessif et d'une esthétique pop dont Kaboom serait le climax ?
A moitié seulement, car force est de constater que le cinéaste ne perd pas totalement ses bonnes vieilles habitudes. Une fois de plus, il s'attache à explorer les affres de l'adolescence à travers le regard d'une jeunesse désenchantée - ce qui pourrait sans doute le rapprocher d'un Larry Clark bien que leur style et leurs procédés cinématographiques divergent complétement. Le cadre faussement idyllique que constitue le foyer paisible et confortable d'une banlieue américaine type n'est donc qu'un leurre destiné à dissimuler une réalité bien moins reluisante, un peu à la manière du film American Beauty (1999) de Sam Mendes. White Bird devient donc le récit d'une famille en crise, au sein de laquelle la fille peine à se construire tandis que la mère (très justement incarnée par Eva Green) sombre doucement dans une folie jalouse et destructrice.
Toutefois, il ne faut pas oublier que White Bird possède également une dimension de thriller, et c'est justement cet aspect du film qui ne sied pas parfaitement au style Araki. En effet, le regard trop innocent, toujours plein d'insouciance et de passivité qu'il pose sur ses personnages et sur ses situations pourtant dramatiques nous pousserait presque à n'accorder que peu d'importance au mystère qui entoure la disparition de la mère. De plus, on regrette que les glaciales scènes oniriques soient si mal maitrisées, alors que le reste de la mise en scène est digne du travail de Gregg Araki, c'est-à-dire brillante et appuyée par un montage au cordeau.
Bien moins édulcoré que le reste du travail de Gregg Araki – ce que nombre de ses fans regretteront sans doute – ce nouveau long-métrage parvient finalement à s'inscrire dans l'étroite lignée d'une filmographie certes cohérente, mais qui pourrait finir par paraître répétitive.
Vu le 30 juillet 2014, au Cinéma du Panthéon, en VO.
Note de Noodles:
Note de Mulder: