Near Death Experience

Near Death Experience
Titre original:Near Death Experience
Réalisateur:Benoît Delépine, Gustave Kervern
Sortie:Cinéma
Durée:86 minutes
Date:10 septembre 2014
Note:

Paul, 56 ans, père de famille et employé chez France Télécom, en a marre de vivre. Un vendredi 13, il décide de passer à l’acte. Sur son vélo, il rejoint les montagnes où il a prévu de se suicider. Mais son geste du désespoir est maintes fois retardé, soit parce que des passants le dérangent, soit parce que Paul n’a pas fini de réfléchir sur une existence qui lui paraît désormais obsolète.

Critique de Tootpadu

Le divertissement a beau être l’une des vocations principales du cinéma, des films existent qui ne cultivent aucune ambition de ce côté-là. Ces œuvres singulières cherchent davantage à réfléchir sur la vie, la mort et tout le reste, voire à abandonner tout raisonnement dramatique pour suivre simplement l’expression artistique de leurs auteurs. Le nouveau film de Benoît Delépine et Gustave Kervern fait partie de ces récits inclassables, qui peuvent laisser perplexe par leurs choix radicaux. Même si la rupture très nette avec leur univers caustique est difficile à digérer – rien d’amusant en effet dans une litanie mortuaire, vécue péniblement dans la solitude –, ce départ vers de nouvelles rives plus sérieuses n’a pas manqué de nous interpeller. Near Death Experience est un film sans concessions, qui ne pèche que lors des rares écarts plus complaisants, en guise de parenthèses presque enjouées dans la noirceur ambiante.

La première partie du film, avant que le protagoniste ne parte dans son exil seul face à la nature, nous donne encore l’espoir d’une quelconque approche satirique. Cet homme profondément résigné ressemble en effet au Français type, gavé par un quotidien qui se conjugue au fil des verres bus au bar, des infos de 13h00 présentées par Jean-Pierre Pernaut et des excursions cyclistes sans finalité sportive. Qu’il travaille pour le plus grand opérateur téléphonique du pays, hanté récemment par une vague de suicides de ses employés, pourrait réconforter notre hypothèse. Or, lorsque nous apprenons ce complément d’information professionnelle, le ton du film a déjà sensiblement basculé vers la tragédie, au pessimisme difficilement supportable. Aux yeux des réalisateurs, le destin néfaste de Paul n’a apparemment aucune dimension symbolique à l’échelle de la morosité, qui accable depuis des années les Français. Il s’agit au contraire d’une descente aux enfers intimiste, du portrait saisissant d’une dépression à laquelle la seule issue est la mort.

Une fois que nous nous sommes habitués à la noirceur du propos, tout comme au refus manifeste de conférer un peu de la beauté du paysage à l’esthétique du film, le parcours du personnage principal relève d’une certaine lucidité. Les dernières heures d’une vie ordinaire s’écoulent alors au fil d’un monologue intérieur parfaitement pessimiste. En dépit d’une voix off omniprésente à travers laquelle s’expriment les ruminations de Paul et ses délires d’outre-tombe, la facture formelle du film s’avère fascinante, à l’image d’une leçon sans fioriture sur le suicide qui ne donnerait pourtant pas envie au spectateur de se flinguer. Toutefois, c’est précisément dans cette distance émotionnelle que réside la faille majeure de ce conte philosophique inégal.

Le mouvement de fuite de cet homme aux traits prématurément usés – pour une fois un rôle qui sied tout à fait à Michel Houellebecq, cet écrivain provocateur à la carrière cinématographique plutôt accidentée – vacille en effet trop entre le regret et le dégoût. Au point que nous ne savons plus à quoi nous en tenir, face à ce périple sinueux qui aspire sans aucun doute au rejet catégorique de la vie, mais qui se laisse régulièrement charmer par ses manifestations les plus innocentes. L’isolement de Paul est ainsi entrecoupé de rencontres cocasses, du lièvre pris au piège dont le cadavre fera partie de la « famille » jusqu’à l’automobiliste qui s’apprête à ramener l’ermite à la banalité de la vie, en passant par une partie de jeu assez enfantine. Ces faux espoirs de retour à la normale contribuent malheureusement à aplanir un gouffre existentiel, dont la profondeur intransigeante avait tout juste réussi à nous saisir.

 

Vu le 28 août 2014, au Saint-Germain-des-Prés

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Deux ans après Le Grand soir (2012), Gustave Kervern et Benoit Delépine reviennent avec un sixième long-métrage pour le moins original et inattendu. Comme à leur habitude, les deux compères nous livrent une œuvre atypique, un film difficilement classable si ce n'est dans la catégorie des ovnis cinématographiques. Pourtant, ce qui est nettement plus surprenant dans Near Death Experience, c'est certainement l'absence de réelle dimension comique. Alors que l'humour satirique, souvent noir et parfois absurde qui caractérisait Avida (2006), Louise-Michel (2008), ou encore Mammuth (2010) semblait être la marque de fabrique des deux cinéastes, il semble ici être relativement mis de côté, à quelques exceptions près.

La tragédie qui nous est racontée, c'est celle de Paul, un pathétique père de famille au bord du gouffre brillamment interprété par l'écrivain et poète Michel Houellebecq. D'emblée, le personnage principal de ce sombre récit ressemble typiquement aux anti-héros qu'affectionnent Delépine et Kervern. Ici, il s'agit d'un individu parfaitement banal rongé par la morosité et l'absence de raison de vivre. Les premières minutes du film s'emploient donc à nous présenter Paul comme le français moyen par excellence, le regard vitreux devant le journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut afin d'oublier son vide existentiel. Le visage très marqué de cet homme abusant de l'alcool et du tabac est bien souvent filmé de très près, ce portrait intimiste ne laissant guère de place aux autres personnages dont les têtes restent hors du cadre.

Au vu du titre du film, on pourrait facilement s'attendre à une sorte d'expérience sensorielle visant à représenter ce que pourrait être la vie après la mort, un peu à la manière de l'hallucinant Enter the Void (2009) réalisé par Gaspard Noé. Or, si Near Death Experience devait nous rappeler un film de Noé, il s'agirait plutôt de Seul contre tous (1998) : un peu à la manière du personnage terriblement humain incarné par Philippe Nahon, Michel Houellebecq nous offre de longues et pessimistes réflexions sur la vie et sur la sienne en voix off. Les propos désabusés mais toujours lucides d'un homme « qui parle trop mais ne se suicide pas assez » sont le fil conducteur de ce récit introspectif.

Les errances de ce héros presque déjà mort peuvent également évoquer un film comme Into the Wild (2007) de Sean Penn, la nature étant dans les deux cas le théâtre d'un certain retour aux sources et d'une critique acerbe de la société. Pourtant, contrairement à l'aventurier Alex Supertramp, Paul a bien du mal à déceler les bienfaits de la vie à l'état sauvage, faisant même l'éloge du confort propre à l'homme moderne. La caméra adopte le même point de vue que le protagoniste, en se refusant à mettre en avant les paysages naturels.

De la forme de Near Death Experience, on retiendra simplement l'importante longueur des plans et le montage privilégiant les effets de ruptures aussi bien visuelles que sonores. Mais une nouvelle fois, les réalisateurs démontrent leur incapacité à procurer à leurs œuvres une mise en scène à la hauteur du contenu. Ce n'est pas tant le manque manifeste de budget que l'absence de trouvailles visuelles qui fait défaut à ce long-métrage pourtant prometteur. Ces faiblesses formelles ne sauront tout de même pas gâcher totalement la démarche osée du film, qui reste une curiosité intelligente loin d'être dénuée d'intérêt.

 

Vu le 28 août 2014, au Saint-Germain-des-Prés.

Note de Noodles: