Titre original: | Go-go boys (The) |
Réalisateur: | Hilla Medalia |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 90 minutes |
Date: | 22 octobre 2014 |
Note: |
L’incroyable épopée de la Cannon, un studio indépendant qui a failli révolutionner le cinéma hollywoodien dans les années 1980. Rachetée par Menahem Golan et son cousin Yoram Globus à la fin des années ’70, elle était censée concurrencer le système américain, figé depuis des décennies. Ces deux producteurs originaires d’Israël, où ils avaient fait fortune grâce à des comédies populaires, investissaient d’abord dans des films de série B. Le succès progressif de leurs nombreuses productions leur a permis d’engager les vedettes et les réalisateurs les plus prestigieux de l’époque. La fortune des cousins a tourné au début des années ’90, comme souvent pour des histoires d’argent.
Il y a trois ans, le festival de Deauville nous avait permis de découvrir un documentaire passionnant sur l’œuvre de Roger Corman. L’explication du maître en matière de séries B pour le déclin de sa carrière à partir des années 1980 y était que l’arrivée de George Lucas et de ses épopées de l’espace aurait asphyxié le marché des productions pas chères. Sans vouloir contredire cette icône du cinéma populaire, nous pourrions citer l’exemple d’une tactique commerciale couronnée de succès à ce moment-là, au moins à moyen terme, dont les procédés n’étaient pas si différents de ceux de Corman. La Cannon avait assez brillamment repris le flambeau de la série B dans les années ’80, avant de s’égarer dans une course au profit à partir de budgets de plus en plus importants qui n’avaient plus rien à voir avec la philosophie économe de ses débuts. Depuis, c’est hélas le désert en matière de productions sans fausse pudeur, qui paient d’une certaine façon le spectateur en lui permettant d’assouvir ses plus bas instincts. Seul Lionsgate œuvre encore de nos jours du côté d’un cinéma trash, même si ses vaches à lait planétaires sous la forme de l’univers Hunger games semblent lui avoir permis de changer de ligue.
En tant qu’introduction dans la vie des deux hommes téméraires derrière cette épopée exemplaire à plusieurs égards, The Go-go boys remplit parfaitement son contrat. Toutefois, il manque peut-être une forme d’approche plus globale au regard de la réalisatrice Hilla Medalia, dont le discours s’appuie essentiellement sur des entretiens récents et du matériel d’archives, à mi-chemin entre le film de famille et la propagande pour les méthodes de travail excentriques de Golan et Globus. En même temps, comment faire entrer dans un documentaire à la durée raisonnable un empire filmique au catalogue de titres extrêmement riche et varié, créé par des bêtes du milieu, qui ne fréquentaient certes pas les fêtes mondaines, mais qui maîtrisaient l’art de l’improvisation comme personne d’autre ? La réponse proposée ne manque pas de pertinence, puisque les grandes lignes de l’ascension et de la chute de la Cannon s’y dégagent assez clairement. La narration ne s’attarde par contre guère sur le volet intime de cette affaire symptomatique des grosses fortunes des années ’80, aussitôt acquises, aussitôt dilapidées. Il n’y en avait pas besoin de toute façon, parce que les destins publics les plus flamboyants s’accompagnent dans la plupart des cas d’une progéniture délaissée et d’une galerie de compagnes qui n’ont jamais su rivaliser avec l’enivrement provoqué par la passion du travail.
L’enseignement le plus utile à tirer du film se situe par conséquent du côté des constatations professionnelles qu’expriment sans gêne Yoram Globus et Menahem Golan. Tandis que le premier apparaît comme le Bob des frères Weinstein, un financier rompu à toutes les ruses du métier, le deuxième personnifie presque à lui seul le rêve fou et finalement impossible de David qui s’attaque au géant Hollywood. Avoir donné toute sa vie au cinéma n’avait finalement de l’importance pour ce producteur de légende, disparu cet été, que dans la mesure où il n’arrêtait jamais de se projeter dans l’avenir et d’espérer pour son prochain film la consécration suprême qui lui a toujours été refusée, même au sommet de son pouvoir où au moins le festival de Cannes était à ses pieds. Il est enfin tout à fait normal que pareil individu plus grand que nature s’interdit toute reconnaissance d’erreurs et d’échecs. Dans toute sa bonhomie, Menahem Golan se dévoile ainsi le plus lorsqu’il coupe court aux questions de la réalisatrice, qui voudrait quand même en savoir un peu plus sur le fiasco de Superman IV.
Bien que ce tour d’horizon d’une entreprise célèbre pour autant de bonnes que de mauvaises raisons soit des plus instructifs, nous lui préférons le documentaire sur Roger Corman. L’humilité à toute épreuve de ce dernier détonne en effet plus dans le milieu vicieux du faire semblant qu’est le cinéma que les grandes airs de la Cannon, une comète dans l’Histoire filmique qui nous inspire malgré tout une certaine nostalgie coupable.
Vu le 9 septembre 2014, au Casino, Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder: