Red army

Red army
Titre original:Red army
Réalisateur:Gabe Polsky
Sortie:Cinéma
Durée:85 minutes
Date:25 février 2015
Note:

A l’époque de la Guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, chaque occasion était bonne pour s’imposer face à l’ennemi. Dans le domaine sportif, la discipline phare de ce conflit larvé était le hockey sur glace. Dès les années 1970, l’équipe nationale soviétique « Red Army » commençait à remporter des victoires éclatantes contre les meilleurs clubs américains et canadiens. Cette supériorité était le fruit d’un entraînement draconien dès l’enfance et d’une obéissance sans faille aux décisions des cadres du régime communiste. Le défenseur Slava Fetisov était l’un des héros de cette équipe infaillible, jusqu’à ce que son opposition à l’entraîneur Viktor Tikhonov le précipite de son piédestal.

Critique de Tootpadu

L’introduction de ce documentaire sur une facette de l’opposition russo-américaine du siècle dernier se distingue par une malicieuse ironie, puisqu’elle fait appel à Ronald Reagan, longtemps avant qu’il ne soit président, qui met en garde le public quant à la dangerosité persistante de l’ennemi. Suite aux événements récents en Ukraine, il serait facile de retomber dans cette vieille paranoïa anticommuniste. Involontairement d’actualité, Red army a cependant le mérite d’explorer avec une certaine pugnacité les deux camps de cette répartition autrefois planétaire entre l’Est et l’Ouest. Les méfaits de la mainmise brutale des dirigeants soviétiques sur leurs athlètes élevés comme des machines à rendre la patrie fière y sont habilement contrebalancés par un pendant occidental qui n’équivaut pas non plus au paradis sur Terre. Plutôt que d’adopter le point de vue plein de préjugés de rigueur dans les années ’80, la narration s’interroge avec un recul appréciable sur ces idées préconçues, qui voyaient partout une épreuve de force entre les deux blocs diamétralement opposés.

Jamais cette ambiguïté n’est plus poignante que dans le portrait de Slava Fetisov, le joueur dans lequel se focalisent cruellement les hauts et les bas de cette époque, ainsi que de tout le temps qui s’est écoulé depuis. La présentation de son interlocuteur principal par le réalisateur Gabe Polsky commence presque méchamment, puisque la vedette d’antan est trop occupée à gérer ses affaires courantes au téléphone pour consacrer toute son attention à l’entretien. Cette boutade présumée, qui considère indirectement que ce qui se passe et se dit hors champ peut être plus révélateur que les discours de langue de bois, indique en même temps une réticence palpable à fouiller dans un passé que la plupart des participants préféreraient laisser derrière eux. Les révélations tonitruantes se font d’ailleurs rares au fil d’un récit, qui sait révéler des pistes de réflexion dans des silences gênés. Car vingt ans après les faits, la part d’ombre du régime totalitaire reste importante, tel une tare héréditaire dont il vaudrait mieux ne plus trop se souvenir en détail.

Ce qui ne signifie point que l’approche du documentaire manque de précision. Après un léger égarement du côté sportif aux résultats sans équivoque, contrairement aux biographies abîmées sous le joug d’une surveillance permanente, le retour de boomerang est d’autant plus fracassant qu’il révèle tout l’étendue d’une politique sportive abandonnée sans le moindre plan de substitution. Les joueurs de hockey russes étaient les meilleurs, tant qu’ils étaient les armes secrètes de leurs supérieurs calculateurs, soit. Mais leur véritable histoire commence avec l’éfrittement du régime et la confrontation à une liberté toute relative. Les répercussions de cet éveil déplaisant se ressentent jusqu’à aujourd’hui. De nombreux virtuoses du palet de l’époque ont en fin de compte rebroussé chemin pour mieux servir un pays qui les avait traités avec tant de dédain auparavant, après des expériences guère concluantes de l’autre côté du rideau de fer caduc. Le rêve américain de richesse et d’épanouissement ne se réalise pas avec plus d’assurance si l’on dispose d’un talent sportif, qui fait surtout des envieux et peu d’admirateurs.

Le dernier chapitre de cette relation d’amour et de haine entre le hockey russe et américain restera donc ouvert, tant que ces deux écoles foncièrement différentes se vampirisent mutuellement les joueurs et les trophées. Une chose est sure par contre : que l’élégance de la tactique russe remporte aisément notre adhésion, au détriment des bastons brutes sur le continent américain. Au moins de ce point de vue-là, ce documentaire intelligent ne laisse aucune place à l’ambiguïté.

 

Vu le 9 septembre 2014, au C.I.D., Deauville, en VO

Note de Tootpadu: