Titre original: | Good lie (The) |
Réalisateur: | Philippe Falardeau |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 110 minutes |
Date: | 00 2014 |
Note: |
Les frères Théo et Mamere ont dû fuir avec leur sœur Abital de leur village dans le sud du Soudan, attaqué par des soldats venus du nord. Au bout d’une longue et pénible marche à pied sur des centaines de kilomètres, certains des enfants arrivent à un camp de réfugiés au Kenya. Ils sont obligés d’y rester pendant treize ans, sans la moindre perspective d’avenir. En 2001, Mamere, Abital et leurs compagnons d’exode Jeremiah et Paul ont l’occasion d’immigrer aux Etats-Unis dans le cadre d’un programme humanitaire. Est-ce que cette génération perdue pourra alors prétendre au rêve américain, si différent de leur culture africaine ?
Ca y est ! A mi-chemin du 40ème Festival du cinéma américain de Deauville et après avoir regardé près de la moitié de la sélection officielle, nous tenons enfin notre premier coup de cœur ! Dans la lignée de l’engagement humanitaire de George Clooney, immortalisé dans quelques documentaires moyens, le cinquième film du réalisateur canadien Philippe Falardeau est une vibrante leçon d’humanité en l’honneur des trop nombreux réfugiés en général, et de ceux de l’est africain en particulier. D’une justesse émotionnelle incroyable, il conte le destin d’une famille soi-disant recomposée de trois hommes et d’une femme, qui auront le privilège douteux de goûter au confort américain, sans perdre leurs traditions profondément altruistes. Le risque de la manipulation sentimentale n’y est jamais très loin. L’affiche américaine hideuse laisse certainement craindre le pire en la matière, avec une couche de condescendance post-coloniale en plus. Mais au final, The Good lie est l’un de ces miracles cinématographiques, qui nous font rire et pleurer, mais qui nous rappellent surtout avec une honnêteté désarmante à quel point la vie, aussi rude soit-elle, vaut la peine d’être vécue.
La mise en avant de Reese Witherspoon en tant qu’attrait principal du film n’est guère plus qu’une ruse commerciale très répandue à Hollywood, qui est censée attirer le chaland, trop obnubilé par ses propres petites misères pour s’intéresser réellement à la tragédie africaine. Son rôle est finalement secondaire, bien qu’il se démarque agréablement des clichés courants des « grosses vaches blanches » qui découvrent qu’ils ont un cœur au contact d’un style de vie différent. Le choc des cultures au centre du film est par contre celui des immigrés africains, des individus d’une innocence en apparence caricaturale. Cette première impression vole pourtant assez vite en éclats, dès qu’il devient évident que l’intégration dans une société américaine moyennement accueillante et ouverte d’esprit se heurtera aux traumatismes de guerre et à une nostalgie à toute épreuve.
La structure narrative du film est d’ailleurs particulièrement astucieuse à cet égard : pendant la première demi-heure du film, elle évoque la longue marche vers une paix traître à l’abri des hostilités. La lutte pour la survie dans un environnement qui ne fait pas de cadeaux aux orphelins déplacés de force donnera le ton pour la suite du récit. Après avoir bu l’urine de l’enfant chef en guise de sermon pour la survie, toutes les humiliations subies sur le sol américain ne pèsent subitement plus si lourdes. Or, même cette partie la plus éprouvante du film persévère sur la voie du pragmatisme réaliste, qui ne recherche point la larme facile. De même, le volet treize ans plus tard brille par son sens aigu de l’ironie, qui ne trahit jamais la noblesse des personnages. Le côté féerique de l’ascension sociale modeste des immigrés y est constamment mis en perspective par la certitude qu’ils ont perdu leur innocence et leur enracinement dans la terre de leurs ancêtres. Pour nous, le personnage le plus touchant n’est ainsi ni Mamere, un idéaliste un brin insolent qui se rachètera au prix fort, ni Jeremiah, la bonté faite homme au point d’appuyer peut-être un peu trop fort l’aspect religieux de l’intrigue. Non, celui qui aura le plus de mal à apprivoiser sa mentalité africaine à fleur de peau est Paul, le plus sensible de la bande et aussi celui qui se laissera le premier enivrer par les plaisirs moins purs à la disposition des Américains.
Bref, ce film exceptionnel évite avec bravoure tous les poncifs inhérents au genre du pauvre réfugié que les valeureux occidentaux accueillent les bras ouverts. Il y parvient surtout grâce à la mise en scène quasiment parfaite de Philippe Falardeau et au scénario simple et efficace de Margaret Nagle, qui n’a pas besoin de beaucoup de mots lourds de sens pour provoquer une alternance forte des sentiments, entre la joie et la peine !
Vu le 10 septembre 2014, au Casino, Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder: