Titre original: | Whiplash |
Réalisateur: | Damien Chazelle |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 106 minutes |
Date: | 24 décembre 2014 |
Note: |
Andrew Neiman vient d’intégrer en première année le prestigieux conservatoire Shaffer à New York. Ce jeune musicien ambitieux espère y devenir le meilleur batteur de sa génération. Son but est d’être admis dans le Studio Band sous la direction de Terence Fletcher, un professeur réputé pour son style sévère et exigeant. Andrew y obtient sa chance en tant que suppléant. Malgré tous les efforts qu’il fera pour être à la hauteur, il subira de plein fouet les coups de colère de son enseignant redoutable.
Derrière ses différentes versions édulcorées, plus édifiantes les une que les autres, ce qu’on appelle communément le « rêve américain » n’est en fait que la récompense suprême pour une ambition sans bornes. La terre des opportunités ne déverse ses richesses qu’à ceux et celles qui ont su faire preuve de suffisamment d’abnégation et d’égoïsme pour arriver tout en haut de la pyramide sociale. Etre le meilleur, coûte que coûte, est une façon bien plus adéquate de résumer l’obsession majeure des Américains que tout le baratin sur la liberté, la démocratie et le respect des droits de l’homme qu’ils prétendent défendre à travers la planète. Tout le monde n’a pas la chance, l’opportunité ou le talent d’atteindre cette excellence brandie comme un étendard national. Mais ceux qui risquent de perdre leur santé, leur vie privée, voire leur raison dans la quête d’un dépassement de soi absolu sont au moins éligible à appartenir à l’élite de la côte est ou ouest, aux valeurs finalement pas moins vaines que celles des péquenauds illuminés du cœur des Etats-Unis.
Souvent, le cinéma américain enveloppe cette particularité de la psychologie collective dans des contes volontaristes, où des victoires sont remportées presque par intervention divine, à l’issue d’un montage qui condense l’effort consenti dans quelques images percutantes d’un entraînement acharné. Ce qu’il omet de montrer, ce sont les dommages collatéraux inévitables de cette attitude de fonceur qui constitue la concurrence à l’état pur. Comme dans un jeu de loterie, et hélas avec la même part diabolique de hasard, le ticket gagnant n’est pas la conclusion logique de la course à la performance. Parmi ceux qui prennent le départ dans cette dernière, plein d’idéalisme et de confiance en soi, il n’en reste qu’une infime partie qui ne fera pas les frais de cette variation faussement civilisée du droit du plus fort. Ce constat pessimiste, personne ne veut l’entendre, puisque tout le monde se complaît à cultiver ses objectifs personnels qui peinent à devenir des réalités. En tant qu’industrie du rêve, le cinéma est complice dans le maintien en vie de ces illusions. Il faut un film fort comme Whiplash de Damien Chazelle pour interroger intelligemment ce statu quo sans âme.
Son protagoniste est le modèle parfait du petit parvenu, qui croit pouvoir devenir un grand musicien simplement en travaillant comme un forcené. La première fois qu’il attire l’attention de son idole, un professeur qui inspire la peur et pas l’admiration, est justement lorsqu’il se déchaîne seul et en pleine nuit sur sa batterie. Tout ce qui va suivre existe déjà à l’état embryonnaire dans cette séquence : la solitude et l’acharnement d’Andrew, qui ne sont pas mutuellement exclusifs, bien au contraire, ainsi que la mégalomanie sèche avec laquelle le professeur crache carrément les ordres en direction de son élève. Faire de la musique avec Terence Fletcher n’est pas une partie de plaisir, mais une corvée digne des pires camps d’entraînement militaire. Aussi perfectionné le jeu des étudiants terrifiés soit-il, il ne respire à aucun moment une joie et une aisance mélomanes. C’est plutôt une application psychopathe de la science, impossible à perfectionner davantage mais précisément écrasant par l’absence d’une marge d’amélioration.
Néanmoins, le personnage principal rentre sans broncher dans le manège de ce clan des machines musiciennes. Il n’en tire aucune satisfaction réelle, puisque les encouragements francs ne figurent pas dans le vocabulaire pédagogique de son professeur despotique et que sa famille ne prête point attention à ses promotions successives dans un microcosme nombriliste. Et pourtant, il persévère, ne connaissant que la peur d’être ridiculisé devant les autres membres de l’orchestre et le rêve fou d’être un jour cité avec les légendes du jazz comme moteurs pour ne pas renoncer. Pareil comportement radical pourrait sembler narcissique ou carrément névrosé. Il y a certes quelque chose de cela dans la frénésie d’Andrew, qui s’entraîne jusqu’à ce que le sang gicle de ses mains. La virtuosité du scénario et de la mise en scène permettent cependant une identification entière avec ce jeune homme à la naïveté touchante, trop vite perverti par l’appât de la reconnaissance. La tension dramatique exceptionnelle n’y est relâchée que lors du premier rendez-vous avec sa copine Nicole, un dernier instant de détente et d’interaction amiable avant la montagne russe de la concentration maximale.
Enfin, cet affrontement au sommet n’aurait pas été aussi passionnant sans l’interprétation magistrale de Miles Teller et, surtout, de J.K. Simmons. Les deux comédiens se livrent une bataille féroce grâce à leurs rôles en or. Alors que personne n’en sort gagnant, si ce n’est la soif intarissable de réussir, le disciple finit par ressembler dangereusement à son professeur. Le fait d’imposer sa volonté à l’autre apparaît dès lors comme la vocation suprême de cette ambition typiquement américaine. Depuis des siècles, cette forme de contrôle s’exerce dans les champs d’échange les plus variés, peu importe qu’ils soient de l’ordre économique, politique, militaire ou culturel. Grâce à ce film riche en enseignements, il ne devrait plus y avoir de malentendu quant aux véritables intentions d’hégémonie américaine. Or, au lieu d’être un simple vecteur de propagande, il réussit à exceller à son tour dans l’exploration lucide du pour et du contre d’une ambition sauvage.
Vu le 11 septembre 2014, au C.I.D., Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder:
Le film monument Whiplash de Damien Chazelle a tout gagné sur son passage lors des festivals mondiaux, dont celui de Sundance et celui de Deauville, ainsi que trois Oscars dont celui du meilleur second rôle pour J.K. Simmons (énorme ; récompensé d'ailleurs au BAFTA de Londres pour son rôle). Présenté en 2014 à Deauville, je n'avais pas pu voir le film mais j'avais discuté avec Damien Chazelle et son interprète principal, Miles Teller, de ce qui semblait être un film époustouflant et fantastique.
Fort d'une réputation hors norme, j'ai décidé de visionner ce film lors d'un long voyage en avion. Un film choc, fort et monstrueux qui repose sur la musique, le blues, la batterie et le duo composé de Miles Teller et J.K. Simmons. L'un est connu pour son rôle dans Divergente et Projet X, et est surtout attendu pour son rôle de la nouvelle saga Marvel, Fantastic Four, dans le rôle de Mr. Fantastic. Quant à J.K, on se souvient tous de ses prestations dans la première trilogie de Spider-Man (version Sam Raimi) où il portait le directeur du journal. Déjà, à l'époque, on se souvenait de sa forte gueule et de ses expressions colériques. Ici, il y est démentiel et mérite tant ses prix et son Oscar. Rappelons, par ailleurs, la présence de Paul Reiser (Aliens et la série Dingue de Toi avec Helen Hunt), la présence aussi de Melissa Benoist (passage dans la série Glee et dans Homeland). Je note, accessoirement, Kavita Patil, passée par la série The Unit, aux côtés de Dennis Haysbert (le Président Palmer dans 24) et Robert Patrick (Terminator 2 et The X-Files).
Les critiques étant dithyrambiques, j'avais donc très peu d'à priori sur le film mais de nombreuses attentes. Et soyons très franc, on est comblé. Damien Chazelle offre un film exceptionnel, intense, fort et explosif dans lequel un chef d'orchestre, sévère, appliqué et sérieux, exige de ses élèves une perfection inégalable dans les représentations du blues. Il pousse ses élèves à la faute pour qu'ils n'en deviennent que meilleurs, afin qu'il obtienne une certaine reconnaissance de ses paires et qu'ils obtiennent la possibilité de jouer dans de grand orchestre ou être connus/reconnus. J.K. Simmons est intense et mérite amplement ses prix. Il porte le film sur ses larges épaules et dévoile l'étendue de son talent ! Il force l'admiration et on espère que ces prix lui donneront la force de continuer à jouer de tel rôle ! Le second grand rôle du film est tenu par Miles Teller, qui dévoile une maîtrise de la batterie ; instrument pour lequel il a prit de long cours pour arriver à être le plus crédible possible ; et s'offre, pour le coup, sa meilleure prestation cinématographique dans un petit film d'auteur. Il est attendu au tournant avec son rôle de Mr. Fantastic en 2015 et devrait, nul n'en doute, être approcher par de grands réalisateurs, car ce gamin est pétri de talent !
Chazelle réalise l'un des grands films de l'année 2014. Auréolé de son titre de favori à son arrivée à Deauville, le film a conquis les cœurs des spectateurs, des professionnels et des médias. Un coup de cœur !
Vu le 23 mars, vol international United Airlines en version française
Note de Marty: