Pasolini

Pasolini
Titre original:Pasolini
Réalisateur:Abel Ferrara
Sortie:Cinéma
Durée:85 minutes
Date:31 décembre 2014
Note:

Fin 1975, l’écrivain Pier Paolo Pasolini rentre à Rome, après avoir participé à la promotion de son dernier film à Stockholm. Ce trublion quinquagénaire a la tête plein de projets littéraires et cinématographiques. Il fait des entretiens et rencontre des amis pour leur soumettre ses idées pour son prochain film. Le soir du 2 novembre, il part au volant de sa voiture, en quête d’une aventure sexuelle avec l’un des jeunes hommes qui traînent à la gare. Le lendemain matin, son corps sans vie est retrouvé sur la plage d’Ostie, dans la banlieue proche romaine.

Critique de Tootpadu

Après l’opération marketing de son film précédent, l’exploitation opportuniste de l’affaire du Sofitel, le réalisateur Abel Ferrara fait preuve d’un timing moins ciblé avec cet hommage rendu à son confrère italien Pier Paolo Pasolini. Puisque l’exposition et la rétrospective en son honneur à la Cinémathèque Française ont déjà eu lieu l’année dernière, il pourrait même y avoir suspicion de retard, voire de retour superflu sur une œuvre dont toutes les facettes viennent d’être étudiées à satiété. Sauf que cette énième interprétation des derniers jours du maître de la subversion sociale et sexuelle au cinéma se veut avant tout intemporelle. Son ambition d’être universelle se manifeste par le biais d’un kaléidoscope formel, où la réalité et la fiction, le crime et la béatitude se croisent dans un éternel échange. L’illusion d’un opéra baroque qui inviterait le spectateur à s’émerveiller devant des statues antiques à la fois sensuelles et culturelles ne dure que jusqu’à l’apparition à l’écran de la première fellation, incluse tout comme la fête de la fertilité entre les communautés gaie et lesbienne pour illustrer sans trop de voyeurisme les pulsions sexuelles de Pasolini. Or, s’il y a une chose primordiale à retenir de l’œuvre du réalisateur de Salo et de L’Evangile selon saint Matthieu, c’est qu’il ne peut pas y avoir d’enfer sans le paradis et vice-versa.

L’astuce magistrale d’Abel Ferrara consiste à procéder à une alternance ludique et imprévisible entre ces deux extrêmes. Investis d’un discours théorique hautement intellectuel lors des réponses que Pasolini donne au journaliste qui voudrait savoir comment se débarrasser une fois pour toutes du statu quo, ils ne peuvent coexister que grâce à la certitude d’une absence de finalité. Au lieu de s’engager dans un parcours lourdement prémonitoire, quelques heures à peine avant l’assassinat barbare du poète pédé, le récit s’affranchit d’une temporalité trop stricte pour mieux ouvrir une multitude de pistes de réflexion. Très loin de la structure ennuyeusement linéaire de la biographie filmique, il donne un aperçu de l’essence philosophique du travail de Pasolini. Celui-ci ne se résume pas à la provocation gratuite de la bienséance, particulièrement marquée dans un pays très catholique comme l’Italie. Il transcende de même la vulgarité des mœurs et l’indignation des parias pour prétendre à une symbiose parfaite entre la chair et la parole, la libido et l’intellect.

Puisque le réalisateur n’y était pas complètement parvenu de son vivant, il aurait été étrange qu’Abel Ferrara, l’enfant terrible du cinéma américain, réussisse une synthèse stimulante de ces influences hétéroclites. Toujours est-il que Pasolini est un coup de maître atypique dans la filmographie de Ferrara. Par sa beauté et son ton majestueux ponctué par des parenthèses plus viscérales, il se distingue des descentes aux enfers que le réalisateur orchestre habituellement avec plus ou moins de brio. Son personnage principal ressemble autant à une version idéalisée de Pasolini qu’à une invention de toute part, à l’exception de quelques faits avérés. Il flotte au-delà de toute considération morale, sans connaître encore la fin tragique qui l’attendra des mains de ses tortionnaires. De cette contradiction jamais résolue entre la disparition imminente et une conscience plus sereine de l’existence naît le genre d’enchantement filmique auquel on ne s’attendait guère de la part d’un réalisateur, qui semblait s’engouffrer depuis quelques années dans le cercle vicieux de l’auto-dérision.

 

Vu le 12 septembre 2014, au C.I.D., Deauville, en VO

Note de Tootpadu: