Elle l'adore

Elle l'adore
Titre original:Elle l'adore
Réalisateur:Jeanne Herry
Sortie:Cinéma
Durée:104 minutes
Date:24 septembre 2014
Note:

Muriel Bayen, une esthéticienne divorcée et mère de deux enfants, aime bien raconter des histoires pour se donner de l’importance. La seule chose avec laquelle elle ne rigole pas est son admiration pour le chanteur à succès Vincent Lacroix dont elle est une fan inconditionnelle depuis des années. Elle est par conséquent prête à tout pour l’aider, quand il vient frapper à sa porte en pleine nuit, après une violente dispute avec sa copine Julie, qui a tourné au drame.

Critique de Tootpadu

Les fabulations vont bon train dans ce premier film jubilatoire. Elles sont tout de suite teintées d’une certaine morbidité, qui fait durer le plaisir encore plus malicieusement. La première séquence de Elle l’adore campe ainsi avec adresse le personnage principal. En attendant qu’ils partent en train, Muriel y raconte à ses enfants un incident survenu dans le métro. L’anecdote ne pourrait être qu’une blague sans gravité, si elle n’impliquait pas la mort entièrement fictive d’un inconnu. Cet incident, dont nous ne savons d’ailleurs pas s’il s’est réellement passé ou s’il est né de l’imagination débordante de cette femme vouée corps et âme à la cause de son idole, ainsi que les circonstances dans lesquelles il est conté dévoilent cependant une facette encore plus inquiétante du personnage.

Au lieu d’être une réincarnation d’Eve du chef-d’œuvre de Joseph L. Mankiewicz ou une illuminée inconsciente qui peut devenir une psychopathe dangereuse au moindre contretemps, Muriel a une conscience aiguë de ses actes. Elle sait quand elle dépasse les bornes et s’en veut immédiatement, essayant de rattraper le coup avec une habileté et une intelligence qui accroissent agréablement la complexité du personnage. Sans que l’on ne puisse lui prouver la moindre mauvaise intention, elle est trop éveillée pour se laisser manipuler indéfiniment. En somme, ce n’est nullement une sotte, juste une obsédée traitable qui sait garder une distance respectueuse à l’égard de l’objet de son admiration. Il serait facile d’avoir pitié d’elle. Mais l’évolution incessante du rapport de forces entre Vincent Lacroix et elle contribue grandement à rendre l’intrigue aussi imprévisible que divertissante.

Pour son premier film, la réalisatrice Jeanne Herry ne s’est pas rendue la tâche facile. Elle va même jusqu’à employer une version tordue du mensonge filmique, lorsque nous voyons Muriel en train d’exécuter à la lettre le plan machiavélique concocté par l’assassin accidentel. Que les choses se passeront tout autrement n’est que le point de départ d’un récit fascinant par sa complexité et sa richesse humaine. Car en dehors de l’interaction chaotique et faussement consensuelle entre la célébrité et sa groupie, les personnages secondaires subjuguent également par la subtilité de leur écriture scénaristique. Comme par exemple ce couple hautement dysfonctionnel de flics, pas trop futés mais quand même assez doués et appliqués dans leur travail pour trouver in extremis la piste qui pourrait élucider cette affaire. Grâce à l’ironie suprême qui sous-tend tout le film, les efforts de l’appareil judiciaire s’évaporeront au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la réalité.

Aux côtés de la narration d’une élégance bluffante, ce sont les interprétations très précises qui rendent crédible cette histoire abracadabrante. Pendant que Laurent Lafitte incarne souverainement un manipulateur amateur dont l’immoralité finit par le rattraper, c’est surtout Sandrine Kiberlain qui cache merveilleusement bien le jeu de son personnage. Ce dernier appartient à cette race extrêmement rare et précieuse de survivants, qui font ce qu’il faut pour sauver leur peau – quitte à mener la police en bateau lors d’un interrogatoire hilarant – mais sans faillir à leurs propres engagements. Réussir un tel personnage du début jusqu’à la fin est un gage de qualité, qui nous confirme une fois de plus le talent de la comédienne et nous fait espérer des films suivants aussi surprenants de la part de la réalisatrice débutante.

 

Vu le 13 septembre 2014, au C.I.D., Deauville

Note de Tootpadu: