National gallery

National gallery
Titre original:National gallery
Réalisateur:Frederick Wiseman
Sortie:Cinéma
Durée:174 minutes
Date:08 octobre 2014
Note:

Le palais imposant de la National Gallery se dresse au nord de Trafalgar Square à Londres. A l’intérieur, des milliers de tableaux sont exposés, conservés et restaurés. Ces chefs-d’œuvre datant du Moyen Âge jusqu’à la fin du XIXème siècle sont admirés chaque année par plusieurs millions de visiteurs. Pendant la saison de 2012, c’est notamment une exposition temporaire dédiée à Léonard de Vinci qui attire les foules. Or, chaque tableau a une histoire à raconter et un rapport personnel à établir avec l’observateur attentif.

Critique de Tootpadu

Alors que nous fréquentons toujours avec la même assiduité les salles de cinéma, nos pas s’égarent très rarement dans un musée. Ce mode de réception de l’art n’a jamais vraiment rencontré nos faveurs, faute de révélations répétitives après que notre regard et notre pensée ont été absorbés par la beauté d’un tableau. Tandis qu’un film, aussi moyen soit-il, réussit dans l’immense majorité des cas à peupler notre imagination de ses images en mouvement, les clefs de lecture nous manquent pour déchiffrer patiemment l’état figé et ponctuel de l’art plastique. Ce laborieux effort d’initiation à l’aspect esthétiquement édifiant de la peinture, le nouveau documentaire de Frederick Wiseman l’accomplit presque malgré lui et de surcroît avec une aisance qui force le respect. L’appréciation primaire de l’art pictural ne figurait sans doute pas en haut de la liste des ambitions de ce film-fleuve. Il y parvient pourtant au point que nous sommes désormais empressés de vivre de première main ces découvertes intimes et toujours changeantes qui nous ont submergés ici par le biais de la caméra.

National gallery dispose en effet d’un volet pédagogique aussi indéniable qu’imposant. Les extraits de visites guidés et autres cours collectifs y rythment à intervalles réguliers le récit. Chacun d’entre eux représente une invitation ludique à s’approprier soi-même l’œuvre qu’on contemple, sa composition et son histoire, mais avant tout ce qu’elle évoque profondément chez nous. Par un jeu très habile d’associations et de pistes de réflexion subtilement dessinées, la narration nous transmet le goût de l’enrichissement intellectuel et émotionnel grâce à la peinture. Comme le dit si bien le guide qui est apparemment spécialisé dans l’éveil des jeunes et très jeunes visiteurs, il n’existe pas une réponse fixe et immuable pour comprendre, puis classer une œuvre d’art. L’apport de cette dernière peut varier autant au fil du temps qu’en fonction du discours qu’elle inspire. De ce point de vue-là, la multiplication des approches, par exemple face au tableau de Rubens sur Samson et Dalila, est l’un des points forts de la méthode Wiseman, toujours aussi peu encline à prendre le spectateur par la main pour tout lui expliquer bêtement.

Néanmoins, l’institution de la culture anglaise qu’est la National Gallery ne se résume pas à ce rapport privilégié et préservé entre l’œuvre et le public. C’est aussi tout un symbole, sollicité autant pour des événements caritatifs que pour des opérations d’activistes de Greenpeace. Ce quotidien plus terre à terre ne trouve qu’une place secondaire dans le flux épique du documentaire. Les réunions administratives et les accrochages nocturnes, ainsi que les rares interventions de la maintenance aux heures où les visiteurs ont déserté les salles, fonctionnent surtout comme des rappels occasionnels qu’un mécanisme plutôt banal ronronne derrière la façade prestigieuse. Car exposer de l’art à un niveau si sophistiqué exige une ambition à la perfection et à la pureté formelle qui n’est nullement étrangère à ce grand observateur au regard précis qu’est Frederick Wiseman.

Hélas, notre faculté d’absorber autant de stimulations culturelles n’est pas sans limite, contrairement à la durée considérable du film. Aussi intéressant et exigeant soit-il, sa dernière partie, où le champ est ouvert à un mélange des arts entre la peinture et la musique, la sculpture et la danse, risque parfois de répéter des points déjà brillamment évoqués auparavant. La suspension magique du temps, si envoûtante au début du documentaire, a alors tendance à s’affaisser légèrement, nous laissant simultanément exténués et enivrés par une telle transmission débordante de l’amour pour la peinture classique.

 

Vu le 24 septembre 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: