Historia del miedo

Historia del miedo
Titre original:Historia del miedo
Réalisateur:Benjamin Naishtat
Sortie:Cinéma
Durée:80 minutes
Date:05 novembre 2014
Note:

Dans la chaleur étouffante de l’été, les choses se dérèglent dans un quartier résidentiel chic de Buenos Aires. Des squatteurs y brûlent des immondices sur les terrains vagues en bordure des piscines et des pelouses parfaitement entretenues des pavillons. Tandis que Carlos et sa famille s’inquiètent de cette agitation incontrôlable devant leur porte, Pola navigue entre ce monde aisé, où il travaille comme jardinier, et les quartiers défavorisés, où il habite avec sa mère, une femme de ménage chez des amis de Carlos.

Critique de Tootpadu

Une menace diffuse qui ne montre pas son visage. Une torpeur estivale qui est induite plus par l’impuissance que par la résignation. Un groupe disparate de personnages, issus de milieux sociaux diamétralement opposés, qui participent pourtant au même récit morcelé. Le jeune réalisateur Benjamin Naishtat ne s’est pas rendu la tâche facile pour son premier film, qui intrigue néanmoins par un sens visuel aigu. Chacune des brèves séquences y fonctionne comme la pièce d’un puzzle, à la finalité immédiate assez floue, qui prend tout son sens dès qu’elle est intégrée dans la vision globale d’un état des lieux alarmant de la vie en Argentine. Les règles habituelles d’une progression dramatique y sont abandonnées au profit d’une approche plus instinctive, enrichie par des motifs récurrents et un regard singulier qui n’est pas donné à chaque réalisateur débutant.

Les deux images clef de Historia del miedo sont cette vue aérienne prise depuis un hélicoptère sur laquelle s’ouvre le film, ainsi que les différentes grimaces de Pola, qui expriment sur commande des sentiments contradictoires, dont la peur comme thème sous-jacent. La perspective divine instaure d’emblée une certaine distance avec ce qui va suivre. Elle permet à la narration d’adopter d’entrée de jeu une position punitive, tout en étant si éloignée de l’action que seule la répartition du terrain importe, au détriment des besoins des hommes. Il n’y a en effet aucune place pour des états d’âme attendrissants dans l’univers de Benjamin Naishtat, aussi froid et cruel que son pendant autrichien chez Ulrich Seidl, les écarts des mœurs sexuelles mis à part. A bien y réfléchir, la solitude des personnages y est même si prononcée, qu’ils ne réussissent même plus à trouver un terrain d’entente sensuel.

Cet isolement se christallise dans Pola. Ce jeune homme taciturne est le témoin de la psychose galopante face à laquelle le ton du film reste impassible. Profondément passif dans tout ce qu’il fait, il dégage pourtant une rage sourde qui ne le rend nullement antipathique. Il joue au contraire une drôle de comédie, comme les grimaces précitées pourraient le laisser croire. Tour à tour, il assiste dans le maintien de l’ordre ou il en sape les fondations. Le trouble du statu quo n’est pas de sa faute. Il en est plutôt le témoin involontaire, comme lors de la bagarre au match de foot, du constat de la clôture endommagée ou de l’alarme déclenchée par accident. Bien que la structure narrative du film se nourrisse essentiellement d’une forme chorale, où chaque personnage réagit à sa façon à une sensation de peur abstraite, Pola demeure notre porte d’accès privilégié à un monde en plein dérèglement.

L’intelligence de la mise en scène consiste alors à ne pas nous fournir d’indice de compréhension supplémentaire. Elle va même jusqu’à nous plonger plusieurs fois dans le noir le plus total, par le biais de coupures de courant aussi périodiques que symptomatiques du malaise qui accable le pays. Cette forme d’expression cinématographique assez exigeante devient in extremis plus accessible. Pendant la dernière partie du film, les impressions ponctuelles qui étaient jusque là à peine plus que des fragments de situations s’étalent lors du dîner et de la recherche des enfants. La peur y reste toujours aussi subtilement palpable. Mais en abondonnant le rythme de narration par petites touches sans lien précis entre elles, Benjamin Naishtat a failli perdre ce climat intriguant de l’abstraction, qui fait autrement toute la force de son film.

 

Vu le 1er octobre 2014, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: