Bande de filles

Bande de filles
Titre original:Bande de filles
Réalisateur:Céline Sciamma
Sortie:Cinéma
Durée:113 minutes
Date:22 octobre 2014
Note:

Mariem vit avec sa famille dans une cité de la banlieue parisienne. En l’absence de sa mère, qui travaille de nuit comme femme de ménage, elle doit s’occuper de ses deux sœurs cadettes, tout en subissant le tempérament sévère de son frère aîné. En échec scolaire, Mariem voit la vie comme un calvaire, jusqu’à ce que son chemin croise celui de Lady et de sa bande de copines. D’abord intimidée par l’attitude décomplexée des filles, elle finit par s’intégrer complètement dans le groupe. Dès lors, elle peut rêver de vivre librement son adolescence, en dépit des interdits sociaux qui lui pèsent.

Critique de Tootpadu

La banlieue prend la forme d’une chape de plomb dans le troisième film de la réalisatrice Céline Sciamma. Poignant et grave, le récit y évoque le sort d’une adolescente ordinaire, qui va se fourvoyer de plus en plus dans une impasse existentielle, faute d’alternative constructive. Il ne s’agit nullement d’un conte édifiant sur la force des femmes dans ce contexte social d’une violence extrême, à la fois sourde et explicite, et encore moins d’une comédie sur leur bonne humeur basée sur une solidarité sans faille. Le parcours du personnage principal de Bande de filles serait au contraire profondément déprimant, si la narration n’y aménageait pas quelques échappatoires à partir desquelles une certaine dignité peut se construire. Car même si la réalité finit chaque fois par anéantir les rêves d’une vie moins soumise, une force subtile de résistance subsiste dans les moments les plus désespérants.

Ainsi, le défoulement pendant l’entraînement de football américain sur lequel s’ouvre le film n’est que de courte durée. L’esprit d’équipe qui y règne joyeusement s’effrite au fur et à mesure que les filles sportives se séparent pour rentrer chez elles. Leur caquetage insouciant s’estompe dès qu’elles entrent dans un espace qui leur est défavorable : la cité où les garçons rôdent la nuit, pour les draguer et les charrier ou plus globalement pour les ramener sous le joug d’une servitude archaïque. Cette dernière se fait surtout sentir dans les foyers éclatés, comme celui de Mariem où les passages redoutés du frère laissent présager un châtiment plus ou moins justifié. Aucun soutien n’est à espérer du personnel enseignant, tellement exclu des préoccupations de leurs élèves que la mise en scène les réduit à une intervention unique et lapidaire en voix off. Que reste-t-il alors à ces laissées-pour-compte à qui l’avenir n’a jamais souri ?

Si nous répondions à cette question simplement en évoquant la sempiternelle complicité dans la souffrance, nous aurions réduit à néant en une seule phrase l’astucieuse construction psychologique et émotionnelle du film. Le caractère solide et solitaire de Mariem survit certes tant bien que mal, dès qu’elle trouve en Lady un exemple à suivre. Mais ce premier revirement du fil narratif reste magistralement inachevé. Faire partie de cette bande n’est guère la solution à ses nombreux problèmes. Cela complique plutôt un quotidien qui végétait jusque là dans un effacement presque maladif. C’est grâce au contact avec ces filles qui n’ont à première vue peur de rien, qu’elle ose aborder son futur copain. Or, celui-ci ne lui propose en fin de compte qu’une future existence de fille respectable, tout aussi répugnante pour cette adolescente en quête de repères frais que la poursuite du métier honteux de sa mère.

Après ce plan magnifique sur lequel l’histoire aurait aussi bien pu se terminer, où le corps de l’héroïne est désormais absent du lit de la chambre d’hôtel qui sert de lieu de retraite et de fête aux filles, la dernière partie du film est consacrée à la seule issue possible de ce cercle vicieux. Embrasser sans hésiter le monde du crime ne réussit hélas pas non plus à Mariem. Elle est par conséquent condamnée à persévérer dans une errance que Céline Sciamma accompagne avec une sensibilité narrative volontairement très sombre. De ce refus radical de l’optimisme naît pourtant un film vigoureux, à l’image de cette jeune femme qui sait ce qu’elle ne veut pas et à laquelle toutes les autres options sont inaccessibles à cause d’un catalogue écrasant d’interdits sociaux ou moraux.

 

Vu le 14 octobre 2014, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: