Eva

Eva
Titre original:Eva
Réalisateur:Joseph Losey
Sortie:Cinéma
Durée:109 minutes
Date:03 octobre 1962
Note:

L’écrivain gallois Tyvian Jones se rend au festival de film de Venise, pour la présentation de l’adaptation de son roman à succès. Pendant la soirée après la première, son mariage prochain avec Francesca, l’assistante du réalisateur, est annoncé. Puisque sa fiancée doit retourner à Rome, Tyvian rentre seul dans sa maison de campagne. Il y trouve deux intrus, échoués suite à une panne de bateau : un homme d’affaires et sa conquête féminine pour un week-end, la sublime Eva. L’auteur tombe immédiatement sous le charme de cette dernière, au point d’en devenir obsédé.

Critique de Tootpadu

La partition cacophonique de Michel Legrand qui accompagne le générique au début de Eva pourrait laisser craindre un grand désordre filmique à venir. Or, ce qui va suivre est tout le contraire, puisque Joseph Losey s’y adonne à son état d’esprit de prédilection : un cynisme baroque, énoncé d’une manière brutale et pourtant investi d’une élégance diabolique. Il s’agit d’une histoire de personnages errants, qui marquent successivement leur territoire et leur proie humaine, sans y trouver une quelconque satisfaction en accord avec les valeurs morales de rigueur au début des années 1960. Tandis que Tyvian paraît comme un étranger au sein de l’agitation superficielle d’une Mostra imaginaire à Venise, Eva prend rapidement ses aises dans cette maison abandonnée dans laquelle elle s’est réfugiée et dont elle ne tarde pas à prendre possession en tant que maîtresse d’une nuit. Dès ces deux premières séquences majeures du film, la narration établit les règles du jeu de la manipulation sulfureuse, tout en laissant d’ores et déjà sous-entendre qu’il n’y aura pas de vainqueur dans cette guerre des sexes très sombre.

Les chemins tortueux des deux amoureux ne vont en effet pas cesser de se croiser. Sauf que l’évocation d’un quelconque sentiment romantique ne sied guère au ton nihiliste du film. A la place d’un amour classique, il y est beaucoup plus question d’une forme perverse de dépendance et d’attraction, exercée surtout par la femme fatale par excellence selon sa guise et ses envies imprévisibles. Le point de vue du récit a ainsi beau être celui de l’homme, interprété avec une force viscérale par Stanley Baker, la plupart du temps c’est la femme qui mène la danse proprement machiavélique. Sous les traits d’une Jeanne Moreau rarement plus séduisante que dans ce rôle d’une cruauté magnifique, Eva Olivier est le pendant nullement édulcoré de Holly Golightly dans Diamants sur canapé de Blake Edwards, sorti l’année précédente. Ces deux femmes se font entretenir sans gêne par des prétendants fortunés. A la différence cruciale près que la Française ne succombe à aucune tentation de sentimentalité, alors que l’Américaine finit, au moins dans le film, en embrassant sous la pluie l’homme de sa vie.

Il y aurait du désespoir et de l’impossibilité de communiquer dignes de Michelangelo Antonioni dans ce film langoureux, si Joseph Losey gérait autrement son rapport au temps. L’ennui stimulant n’y provient pas de l’étirement des séquences, mais au contraire de leur enchaînement sec, semblable à un cercle vicieux dont le protagoniste est incapable de s’échapper. Vers la fin du film, Tyvian est en effet dans la double impossibilité de faire le deuil de la relation convenable qui s’était offerte à lui par le biais de Francesca, tout comme du lien malsain qui le fait revenir encore et encore à Eva. Sa défaite est consommée dans la honte et la douleur, lorsque la séductrice invétérée est déjà passée à un nouveau pigeon, alors que lui s’accroche à leur histoire passée. Ce genre de pessimisme sans fard aurait de quoi nous déprimer, s’il n’était pas transmis par une forme esthétique très portée sur les symboles, mais néanmoins d’une vigueur visuelle sans reproche.

 

Vu le 28 octobre 2014, au Champo, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: