Titre original: | Ascensions de Werner Herzog (Les) |
Réalisateur: | Werner Herzog |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 78 minutes |
Date: | 03 décembre 2014 |
Note: |
La Soufrière (1977 – 31’) : en Guadeloupe, le volcan de La Soufrière menace d’entrer en éruption. Les habitants de la ville de Basse-Terre ont été évacués, pour échapper à une catastrophe inévitable. Seuls quelques hommes irréductibles sont restés pour attendre une mort certaine. Werner Herzog part à leur rencontre.
Gasherbrum La Montagne lumineuse (1984 – 47’) : les alpinistes Reinhold Messner et Hans Kammerlander partent au Pakistan, afin d’y entamer un exploit inédit. Ils entreprennent l’ascension successive et sans interruption des sommets des montagnes Gasherbrum, culminant chacun à plus de huit mille mètres.
Le réalisateur allemand Werner Herzog affectionne les extrêmes. Ce goût pour l’excès le place en quelque sorte à mi-chemin entre ses deux contemporains majeurs, Rainer Werner Fassbinder et Wim Wenders. Tandis que la frénésie du premier l’a conduit à une mort précoce, à peu près relativisée par une filmographie abondante, le deuxième chérit un peu trop le compromis et les détours pour créer une œuvre cinématographique d’une force monolithique. Longtemps avant Wenders, Herzog avait déjà alterné entre les longs-métrages de fiction et les documentaires, comme si ces genres diamétralement opposés se complétaient dans sa vision globale du monde. Cette dernière est marquée à la fois par une grande humanité et un sens philosophique, qui ne s’attendrit pourtant jamais sur le sort des personnages fous, réels ou inventés, qui peuplent les films du réalisateur.
Ainsi, dans La Soufrière, c’est d’abord l’absence de l’homme qui est frappante. La ville près du volcan a été vidée de ses habitants par précaution, laissant alors le champ libre à la reconquête des rues désertes par une faune plus ou moins sauvage. Or, c’est d’ores et déjà la vie et la mort qui s’y entrechoquent assez subtilement, à travers les animaux qui promènent leur progéniture et ce chien en voie de décomposition qui gît sur le trottoir. La voix off de Werner Herzog ne s’emploie guère à thématiser les enjeux de cette situation aberrante. Elle procède davantage à une mise à distance fort astucieuse entre le spectateur et le décor majestueux des Antilles, d’une beauté renversante en sursis. Le contexte historique des événements, étayé à travers une mise en perspective avec une catastrophe semblable au début du siècle dernier, n’y est jamais plus important que la prise de conscience viscérale du caractère éphémère des signes de la vie et de la civilisation humaines.
Dans Gasherbrum La Montagne lumineuse, la nature se laisse aussi peu apprivoiser que dans le cas précédent. La caméra y capte toujours avec le même sens esthétique aigu sa beauté sauvage. Au cœur de cette deuxième Ascension magistrale se trouve désormais l’exploration d’une forme de folie humaine encore plus insensée que celle de la poignée d’hommes restée à proximité de la bombe à retardement du volcan. Les questions du réalisateur visent sans ménagement la faille logique dans l’empressement de Reinhold Messner et consorts de gravir des montagnes au-delà des capacités de l’homme. Elles le font par contre avec un respect énorme pour l’interlocuteur, que la mise en scène laisse librement gambader dans son raisonnement délirant, jusqu’à ce qu’il parvienne malgré tout – voire presque malgré lui – à une vérité à forte connotation mystique. La qualité principale de ces deux documentaires remarquables est en effet de réussir souverainement à associer la sécheresse quasiment cartésienne de la voix et du ton qu’adopte Werner Herzog à l’émerveillement magique devant l’aspect plastique éblouissant des images qu’il nous ramène de l’autre bout du monde.
Le seul regret que nous inspire Les Ascensions de Werner Herzog, c’est que cette découverte partielle de l’œuvre foisonnante d’un réalisateur hors pair est beaucoup trop courte. Heureusement, l’occasion nous sera donnée d’en regarder davantage, lors de la grande rétrospective prochaine, parisienne et provinciale, d’une filmographie hélas trop méconnue et marginale. En attendant, saluons cette initiative de la part de Potemkine Films de regrouper de façon pragmatique deux documentaires au sujet proche, qui montrent chacun à quel point le talent téméraire de Werner Herzog sait s’exprimer brillamment sur pellicule !
Vu le 29 octobre 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO
Note de Tootpadu: