Night call

Night call
Titre original:Night call
Réalisateur:Dan Gilroy
Sortie:Cinéma
Durée:118 minutes
Date:26 novembre 2014
Note:

Lou Bloom est un homme solitaire qui parcourt les rues de Los Angeles la nuit. Il gagne misérablement sa vie, grâce au vol de biens publics qu’il revend sur un chantier. Un soir, il passe à côté d’un accident de la route. Il y croise une équipe de télé indépendante, qui prend des images exclusives du sinistre qu’elle revendra à prix d’or aux chaînes. Dès lors, Lou a trouvé sa voie. Il se procure le matériel nécessaire pour se lancer dans la chasse aux prises les plus choquantes. La directrice de programme d’une petite chaîne locale remarque son travail et le soutient pleinement dans ses méthodes pas toujours moralement irréprochables.

Critique de Tootpadu

Le rêve américain dispose d’un nombre incalculable de facettes. Sous prétexte qu’aux Etats-Unis, tout un chacun peut réaliser ses rêves, si seulement il s’en donne les moyens, il a érigé l’ambition aveugle et égoïste en valeur fédératrice d’une nation, qui vénère de la même sorte les vainqueurs et les forts. Car dans cette utopie d’une réussite personnelle fulminante, il n’y a de place ni pour les pauvres, ni pour les faibles. Ces parias-là, la société américaine les exclut avec la même véhémence qu’elle célèbre ses champions. Qu’arriverait-il alors, si l’un de ces individus mal intégrés changerait la donne, en accédant à la consécration dans un domaine peu louable de la civilisation de l’oncle Sam ? Night call prend certes plus la forme d’un trip subjectif que celle d’une leçon objective sur les dérives du journalisme à sensation. Mais il ne serait pas exagéré d’y déceler malgré tout un commentaire narquois sur la valorisation de l’excès à laquelle s’adonne plus que jamais la société américaine.

L’aspect le plus troublant du film de Dan Gilroy est l’ambiguïté de son personnage principal. Lou Bloom pourrait facilement n’être qu’un minable, un taré isolé qui sillonne la cité à l’heure où seuls les malfrats, les fêtards et les forces de l’ordre sont encore debout. Il s’agit sans aucun doute de quelqu’un qui vit en décalage avec le monde qui l’entoure, en adoptant un emploi du temps qui ne le voit jamais vraiment interagir d’une façon normale avec les autres. De ce monde des ombres, il ne surgit d’abord que pour énoncer des candidatures d’emploi impromptues assez bizarres, qui renforcent encore l’image mal adaptée qu’il projette, au lieu de lui ouvrir une porte de sortie de son isolement. Les choses changent à peine, une fois qu’il a remporté un certain succès auprès d’un public assoiffé d’images dégoûtantes. La seule différence, c’est qu’il exploite désormais au maximum la petite position de force dans laquelle ses exclusivités sanglantes l’ont propulsé. Car au fond, le rêve américain est aussi cela : saisir les rares opportunités que la vie présente aux moins chanceux et en tirer le plus de bénéfices possibles.

Le seul reproche que nous pourrions faire à ce thriller palpitant, c’est qu’il est formellement parlant bien trop élégant pour réellement tenir compte du cynisme aberrant dans lequel s’engouffre sans le moindre remords le personnage principal. L’absence d’une instance morale n’y dérange pas autant que celle d’un pendant esthétique à la philosophie glauque de Lou Bloom. Inutile de tomber à ce sujet dans l’extrême froid, voire glacial des films de Michael Mann, mais on aurait souhaité un regard moins lisse sur cette ville californienne tentaculaire.

Toujours est-il que les échanges de Lou Bloom avec la directrice de programme, une sorte de version vieillissante du personnage de Faye Dunaway dans Network Main basse sur la TV de Sidney Lumet, et plus globalement sa façon passablement illuminée de s’exprimer et d’agir s’avèrent plutôt jouissifs. Or, là-encore, Lou Bloom est dépeint avec une méchanceté peut-être pas assez acerbe comme le revers inquiétant de la médaille américaine. Heureusement, l’interprétation magistrale de Jake Gyllenhaal, qui campe son personnage à mi-chemin entre le gamin idéaliste et le calculateur impitoyable, confère une profondeur psychologique à l’intrigue, dont la narration ne peut pas toujours se prévaloir.

 

Vu le 18 novembre 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Marty

Le film Nightcall est-il la révélation de l'année ? Le réalisateur Dan Gilroy, se lance dans une première réalisation des plus intéressantes, dans laquelle il catapulte un Jake Gyllenhaal, au regard terrifiant, dans un thriller à l'ambiance aussi pesante que morbide. Tient-il son meilleur rôle ? Scénariste de Real Steel et de Jason Bourne: L'héritage, le petit frère de Tony Gilroy ; réalisateur de Michael Clayton, Duplicity et du dernier Bourne ; offre un rôle de premier plan à sa femme, René Russo, et réhabilite Bill Paxton dans un rôle sur grand écran, après son passage dans la série Marvel The S.H.I.E.L.D. 

Sous un scénario aussi original qu'intéressant, Dan Gilroy nous présente un phénomène d'actualité, qui s'est malheureusement généralisé, l'autosatisfaction de filmer une scène tragique et de la diffuser librement ou moyennant paiement. Les américains sont très friands des accidents, courses poursuites ou phénomènes violents. Ils se délectent de chaque agression au travers des journaux télévisées, qui suivent 24h sur 24. A chaque voyage aux États-Unis, je suis choqué de voir ce plaisir malsain de suivre les faits divers à la télévision. Le film nous dévoile ici la conception du principe et les sommes attentes par cette vidéo. Plus la vidéo est trash, violente ou sanglante, plus la somme est importante. Si la vidéo est inédite, sa valeur est donc plus importante. Le film se veut donc choquant car il dévoile le truchement des vidéastes amateurs sur la mise en forme de la vidéo et dans le cas présent, la mise en place de la scène de crime afin d'interpeler le spectateur... 

Avec le recul, maintenant que le film est vu et digéré, j'irais presque à penser que ce phénomène s'est généralisé, voir mondialisé. Chaque soir, quand je regarde les informations ou chaque jour quand je consulte les réseaux sociaux, je constate avec mépris, les vidéos d'amateurs, sans forcément vocation pécuniaire, qui n'hésitent pas à filmer des événements, avant même d'avoir, la présence d'esprit de venir, en aide à la personne en danger. Dans quel monde vivons-nous ? Il est devenu plus important de filmer un événement aussi tragique soit-il, avant de penser à ce qu'il se passe ? Heureusement, ce n'est qu'une minorité de personnes qui font preuve d'autant d'empathie. Le film accentue surtout sur la bêtise des médias, toujours à la recherche des meilleures audiences et n'hésitant pas à exagérer leurs propos, afin d'accroitre la sensation d’insécurité ou de violence. 

Le film est un reflet de notre société de consommation où les médias tiennent une part indiscutable sur les agissements des consommateurs. Dan Gilroy dévoile un très bon film dans lequel Jake Gyllenhaal tient sans doute son meilleur rôle. Regard froid, empathique, psychopathe, dangereux, manipulateur, il continue sur sa bonne lignée de Prisoners. Rene Russo marque son retour au cinéma après de longues annonces d'abstinence malgré son passage dans Thor. Son rôle est l'archétype même du média, prêt à tout pour être la meilleure. Quant à Bill Paxton, même si son rôle n'est que secondaire, il revient sur le devant de la scène depuis son passage dans la série dérivée de la licence Marvel. Il est difficile d'oublier son parcours avec Aliens, Predator 2 et Twister mais son retour au cinéma, après être passé par l'écriture de romans, fait plaisir. On lui souhaite un dessein plus abouti que son rôle dans Nightcall. 

Nightcall est un des meilleurs films de l'année à mes yeux. Une véritable surprise que l'on vous conseille en cette fin d'année chargée.

Vu le 30 novembre, au Pathé Conflans, en VF

Note de Marty:

Critique de Mulder

Certains films sont faits pour rester longtemps ancrés dans notre mémoire comme une vraie expérience et resteront malgré le temps des œuvres témoignant d’une époque passée ou présente. Night call dès sa première découverte s’impose comme un pamphlet aussi réaliste que sanglant de nos médias actuels. Quelleque soit la taille d’une chaîne, l’audience reste le moteur principal. Un moteur qui a besoin d‘être nourri de scoops exclusifs aussi sanglants soient-ils pour capturer une audience attachée à sa dose hebdomadaire d’adrénaline sanglante. Dans la continuité de films comme Pump up the Volume (1990) pour son étude sanglante de nos médias, Drive (2011) pour sa vision de Los Angeles ville tentaculaire, le premier film du scénariste Dan Gilroy (Freejack (1991), Jason Bourne : l'héritage (2012)..) marque la naissance et consécration d’un grand réalisateur.

Il fallait oser créer cette sorte de vampire moderne se nourrissant d’images sanglantes et épaulée par son assistant (magistrale scène de recrutement dans un petit restaurant d’un quartier mal famé de Los Angeles). Le personnage de Lou aussi intelligent et froid semble vouloir lui aussi trouver la fameuse american way of life qui permet de gagner correctement sa vie. Après avoir vivoter de vols de barbelés le long des chemins de fer de la métropole, Lou assiste un soir à un accident grave sur l’autoroute et voit débarquer une équipe de caméramans filmant cet accident grave. Après des recherches, un vol de vélo à Venice Beach, voici le personnage de Lou sillonnant la métropole de Los Angeles à la recherche de scènes de crime et en cherchant constamment à être le premier, voire à devancer la police sur les lieux des faits. C’est le comédien Jake Gyllenhaal (qui risque de devenir à ce rythme d’enchaîner d’ excellent film sur excellent film, une marque de qualité de cinéma à lui tout seul) qui interprète ce personnage solitaire, bosseur, taciturne et froid. La réussite du film tient non seulement d’une réalisation parfaite, d’une photographie magnifique, d’un scénario prenant mais également à son interprétation oscarisable. Sa filmographie serait presque parfaite en oubliant son passage par un blockbuster décevant (Prince of Persia : les sables du temps (2010)). Ce comédien cherche d’abord de bons scénarios et à travailler avec d’excellents réalisateurs comme le témoignent les films Donnie Darko (2001), Jarhead - la fin de l'innocence (2005), Zodiac (2007), Brothers (2007), Source Code (2011) et récemment l’excellent Prisoners (2013). Une nouvelle fois, il témoigne par son jeu qu’il est avec Christian Bale et Matthew McConaughey l’un des meilleurs comédiens actuels.

En filmant Los Angeles de Nuit, le réalisateur Dan Gilroy capte totalement l’esprit de cette ville et en fait un personnage à part dont les scènes d’accidents sont autant de boursouflures temporaires. Comme le sang attire le sang, le personnage de Lou et son assistant Rick sillonnent cette ville en quête d’un reportage choc pour la directrice des programmes d’une petite chaîne locale. Tout au long du film, on sent le réel travail fourni par le réalisateur et scénariste pour nous livrer un film sentant le réalisme et la moiteur ambiante. A l’image d’Oliver Stone, le réalisateur capte parfaitement l’essence du métier de cameraman. Les progrès que fait le personnage de Lou à filmer sans aucun recul ces meurtres, ces accidents est clairement visible. En suivant la piste élaborée par le film Drive et montrant un Los Angeles futuriste, le réalisateur préfère en faire une ville minée par la pauvreté, les inégalités et surtout une mégalopole dangereuse où les gens sont prêts à tout pour obtenir leur étoile sur Hollywood Boulevard.

L‘autre réussite du film est de s’appuyer non seulement sur l’interprétation sans faille de Jake Gyllenhaal mais également nous permettre de retrouver dans des seconds rôles importants Rene Russo et Bill Paxton. Ces comédiens qui ont marqué les années 90 font de leur personnage des êtres avides de réussite à tout prix. Night call s’impose à mes yeux comme le second meilleur film de cette année 2014. Un classique instantané, un film célébrant la ville de Los Angeles et surtout montrant que Jake Gyllenhaal est un immense comédien travaillant ses rôles et contrairement à son personnage ne cherchant pas forcément à capter toute la lumière sur lui..


Vu le 12 décembre 2014 au Gaumont Disney Village, Salle 12, en VO

Note de Mulder: