Concerning violence

Concerning violence
Titre original:Concerning violence
Réalisateur:Göran Hugo Olsson
Sortie:Cinéma
Durée:89 minutes
Date:26 novembre 2014
Note:

Inspiré par l’essai « Les Damnés de la terre » de Frantz Fanon, le réalisateur Göran Hugo Olsson étudie les mécanismes de l’autodéfense anti-impérialiste. A travers le matériel d’archives de la télévision suédoise, il ressuscite les luttes anti-coloniales des années 1960 aux années ’80, en Angola, Libéria, Zimbabwe, Mozambique et Burkina Faso, sur fond de la pensée de Fanon.

Critique de Tootpadu

La violence appelle la violence. S’il n’y avait qu’une chose à tirer de ce documentaire distinctement cérébral, ce serait que l’Histoire se répète à l’infini et qu’aucune sortie véritable ne se dessine du cercle vicieux de la domination, autrefois coloniale, aujourd’hui culturelle et économique, des pays pauvres par les pays riches, que l’on appelle par paresse didactique l’équilibre du monde. Seule l’introduction, d’une sécheresse universitaire, date de l’époque actuelle, dans ce flux ininterrompu d’images d’archives, assemblées selon le regroupement vague des idées radicales de Frantz Fanon. Et pourtant, de cette masse d’impulsions visuelles et sonores naît la déplaisante certitude que la guerre n’est pas finie. Elle se poursuivra au contraire jusqu’à ce que le déclin de l’empire américano-européen soit achevé et qu’une nouvelle hégémonie planétaire impose sa marque à l’humanité. Ce que le philosophe avait imaginé dans des termes aussi intransigeants qu’abstraits il y a un demi-siècle aboutira alors, peut-être, à un commencement sous de meilleurs auspices que cet éternel engrenage de crises violentes qui rythment depuis toujours l’Histoire de l’homme.

Sur le papier, le raisonnement de Frantz Fanon est empreint d’une sagesse résignée, qui aurait de quoi nous subjuguer. Aussi exigeant et intellectuel soit-il, son cahier de charges contre l’injustice criante du système colonial adopte un point de vue à l’écart de toute réécriture consensuelle et faussement pacifiste de l’Histoire. Fanon ne se fait aucune illusion sur les dégâts à long terme de cet asservissement horrible, qui a privé pendant des siècles le peuple africain de son droit fondamental à l’auto-gestion. Il va même jusqu’à diaboliser l’exemple américain, comme l’exagération grotesque et monstrueuse de tous les défauts européens. C’est un des rares visionnaires à voir le bonheur futur ailleurs, dans une réinvention totale de la civilisation, un rêve aussi beau qu’impossible à réaliser. Néanmoins, face au marasme contemporain des conflits stériles qui se suivent et se ressemblent, cette utopie a au moins le mérite d’indiquer un chemin de pensée et d’action en dehors des canons fatigués de la théorie politique.

Le problème est que, du côté cinématographique, Concerning violence accomplit assez laborieusement la tâche de vulgariser les théories complexes de Frantz Fanon. Le ton est évidemment donné avec l’introduction par Gayatri Chakravorty Spivak, qui tente de placer pendant plus de cinq minutes le documentaire dans un contexte plus brûlant d’actualité. Mais l’agencement des nombreuses citations, simultanément en voix off et inscrites en grosses lettres sur l’image, alourdit irrémédiablement le propos, au lieu de le rendre plus accessible. De même, le choix du matériel d’archives reste trop souvent à la surface d’une thématique trop cruciale pour l’avenir de la race humaine pour que des entretiens expéditifs et le motif récurrent des soldats rebelles dans la jungle puissent lui rendre justice. L’intervention presque finale du président très temporaire du Burkina Faso, qui osait envisager une collaboration d’égal à égal entre son pays émergent et les anciennes forces coloniales, reste par conséquent une promesse inachevée, sous le signe d’une force symbolique hélas involontaire. Elle est tout à fait à l’image du film de Göran Hugo Olsson dans son ensemble, à savoir bien intentionnée, mais pas suivie d’un sursaut assez percutant pour nous faire réellement réagir.

 

Vu le 19 novembre 2014, au MK2 Grand Palais, en VO

Note de Tootpadu: