Listen up Philip

Listen up Philip
Titre original:Listen up Philip
Réalisateur:Alex Ross Perry
Sortie:Cinéma
Durée:109 minutes
Date:21 janvier 2015
Note:

Philip Lewis Friedman est sur le point de publier son deuxième roman. Alors que ce moment important dans sa carrière d’écrivain devrait le remplir de joie, ses angoisses personnelles s’accumulent au point de l’étouffer. Il n’en peut plus de vivre à New York avec sa copine Ashley, une photographe dont le travail de plus en plus reconnu le met dans une position d’infériorité au sein du couple. Au lieu d’assurer la promotion de son livre à travers le pays, il accepte la proposition de Ike Zimmerman, un célèbre auteur qui n’a plus rien écrit d’important depuis des années, de s’installer dans sa maison de campagne. Philip espère y trouver le calme et la sérénité nécessaires pour se remettre au travail.

Critique de Tootpadu

New York, la métropole culturelle des Etats-Unis, jouit d’une aura cinématographique quelque peu exagérée. Comme c’est le cas avec Paris, la fausse capitale des amoureux, les réussites professionnelles dans le domaine artistique ou financier y sont souvent valorisées à outrance, au détriment des côtés plus déplaisants de l’existence dans une grande ville. Le troisième film du jeune réalisateur Alex Ross Perry cherche à tenir compte de ce retard pris dans la représentation des inconvénients d’un quotidien rythmé par la solitude affective et une compétitivité éreintante. De cette tentative de dresser un portrait plus réaliste de New York n’est hélas sorti qu’une œuvre déprimante, aux personnages hautement antipathiques. En effet, la seule et unique raison pour laquelle Listen up Philip n’ait pas réussi à nous rendre aussi léthargiques que l’intelligentsia américaine arrogante et névrosée qu’il montre sur un ton très sombre, c’est parce qu’aucun de ses membres ne nous donne envie de compatir avec lui et encore moins de nous identifier avec ce monde complètement fermé sur lui-même.

Le film dans son ensemble pourrait aisément être compris comme la litanie longue et monotone d’un homme de lettres, trop imbu de lui-même pour envisager de changer d’abord son rapport aux autres, puis sa raison d’être. Le dispositif formel lourd d’une voix off omniprésente affuble les errements du protagoniste d’une sorte de recul romanesque, servant à la fois d’espace de réflexion sur ses sentiments enfouis et de prophétie sinistre sur le cercle vicieux dont sa vie ne sortira plus jamais. Or, il devient très tôt évident que Philip n’est rien d’autre qu’un salaud irrécupérable, qui convoque ses anciens proches pour mieux se vanter et les confronter à leur propre médiocrité. Sauf que c’est précisément lui qui patauge dans l’incapacité consternante d’atteindre les autres et de se laisser toucher par leurs sollicitations indécises. Cette coupure évidente du monde extérieur, qu’il ne perçoit qu’en tant que chose à manipuler, elle se manifeste surtout dans l’enchaînement frustrant de ses relations amoureuses. Ainsi, il a beau être encore en couple avec Ashley, cet amoureux de sa propre image, mais d’aucune femme en particulier, prend des rendez-vous avec plusieurs de ses ex, histoire de rallumer une flamme plus sexuelle que romantique jamais vraiment étincelante.

Le seul à comprendre la philosophie tordue de Philip est Ike Zimmerman, de la même espèce d’égocentriques invétérés qui ne s’excuseront jamais pour leur caractère hautain. Leur complicité dans la méchanceté sans remords aurait pu déboucher sur une noirceur jouissive, voire sur une justification hardie de la voie aigre et nombriliste que les deux hommes ont choisie, si la narration ne s’était pas amusée à changer soudainement de point de vue. L’absence du personnage principal pendant la partie centrale du film – le temps de voir ce que les autres font sans lui, alors qu’il s’est exilé dans le désert de l’enseignement universitaire – relève certes d’une complexité dramatique pas sans attrait. Toutefois, elle contribue aussi à nous rappeler à quel point cet homme détestable ne nous manquait pas un instant, malgré le charme limité des personnages secondaires.

Bref, la volonté manifeste de Alex Ross Perry de suivre les traces de réalisateurs majeurs comme Woody Allen et John Cassavetes se heurte trop souvent à son regard trop pessimiste sur les hommes et les femmes qui représentent pour lui New York. Car même dans les tragédies urbaines les plus exténuantes de Cassavetes, il y avait toujours quelques moments de grâce filmique, où la nature humaine regagnait au moins temporairement soit sa noblesse, soit sa laideur sans fard. Ici, tout n’est que bile et lamentations autour du sort d’un homme, que même l’interprétation assez honnête de Jason Schwartzman n’arrive plus à sauver.

 

Vu le 24 novembre 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: