Belle jeunesse (La)

Belle jeunesse (La)
Titre original:Belle jeunesse (La)
Réalisateur:Jaime Rosales
Sortie:Cinéma
Durée:102 minutes
Date:10 décembre 2014
Note:

Natalia et Carlos sont en couple depuis un peu plus de deux ans. Faute de travail dans leur région en Espagne sinistrée par la crise économique, ils s’imaginent ce qu’ils feraient s’ils avaient de l’argent. Car sans formation particulière, ils survivent tant soit peu de petits boulots. La situation se dégrade lorsque Natalia tombe enceinte. Elle décide de garder le bébé, en dépit des réserves de sa propre mère chez laquelle elle habite encore et de la difficulté de Carlos d’assumer ses nouvelles responsabilités de père.

Critique de Tootpadu

« La crise est finie, la crise est finie, … » : qu’est-ce que nous aimerions entonner le refrain de la chanson d’un film de Robert Siodmak du milieu des années 1930. Hélas, la crise économique, qui devient par effet domino une grave crise sociale et morale en Europe et ailleurs dans le monde, est loin d’être finie. Elle progresse même d’une façon sournoisement nuisible dans des pays comme l’Espagne, qui osait rêver autrefois d’un niveau de confort, voire de richesse, désormais hors d’atteinte. Le phénomène triste de la jeunesse, qui passe sans transition du statut d’élève ou d’étudiant à celui de chômeur, est malheureusement aussi répandu en France. En attendant que la misère nous rattrape ici, des films aussi francs et pourtant touchants que La Belle jeunesse nous rappellent à quel point la vie et ses acquis matériels et affectifs sont fragiles. Après réflexion, il ne nous semble plus si évident que le réalisateur Jaime Rosales ait choisi ce titre sous le signe de l’ironie. Car même dans la précarité croissante que ce couple mis à l’épreuve traverse, il sait préserver une certaine dignité : moins parce qu’il resterait intact en termes sentimentaux, mais à cause de son pragmatisme, qui ne lui offre de toute façon pas le luxe de s’apitoyer sur son sort.

Natalia et Carlos n’ont strictement rien de particulier, qui les distinguerait des milliers d’autres jeunes adultes dans le même genre de situation désespérante qu’eux. Ils sont amplement représentatifs de leur génération, vouée plus aux drogues douces et aux jeux vidéos et moyens de communication virtuels qu’à une philosophie en phase avec les dures réalités de la vie. Leur existence ne suit plus un plan de carrière à l’ancienne, rassurant car tout tracé d’avance, mais le sentier sinueux de la débrouillardise ininterrompue et surtout d’un contrat entre les générations hautement dysfonctionnel. Tandis que leurs parents rêvaient sans doute de promotions et de salaires en augmentation constante, ces jeunes laissés-pour-compte ne demandent rien d’autre que ce coup de pouce dérisoire à l’espoir, qui consiste en la simple acceptation du CV, sans la moindre possibilité d’un emploi, serait-il de courte durée. La déchéance matérielle des personnages se chiffre en euros, du billet de dix que l’on reçoit après avoir trimé pendant une journée au noir sur le chantier aux six-cents que génère la perte de toute intimité sexuelle en participant à des pornos faussement amateurs.

Plutôt que de s’émouvoir de cette histoire d’une jeune famille qui ne pourra peut-être jamais voler de ses propres ailes, la narration reste quasiment impassible face à son malheur. Ce qui ne signifie point que le cinquième film du réalisateur soit dépourvu d’une acuité morale et sociale impressionnantes. Le récit reste au plus près du présent de ce groupe de personnages, qui n’a pas les moyens d’envisager sereinement son avenir. Cet état de suspension dans l’instant présent passe aussi par deux séquences curieuses, qui condensent un laps de temps assez conséquent par le biais d’un collage de photos et d’échanges sur les réseaux sociaux. Elles font figure de parenthèse aseptisée dans un flux dramatique, qui puise sa vigueur de la ruse cinématographique de l’ellipse. Sauf qu’entre les mains d’un réalisateur intransigeant comme Jaime Rosales, cette dernière est le dispositif parfait pour évoquer la monotonie lénifiante d’un quotidien, qui serait marginal si l’Espagne n’allait pas si mal. Dans cette contradiction réside toute la noblesse d’un film, qui voit encore de la beauté, là où cette banalité inciterait d’autres à s’adonner au misérabilisme le plus répugnant.

 

Vu le 27 novembre 2014, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: