Timbuktu

Timbuktu
Titre original:Timbuktu
Réalisateur:Abderrahmane Sissako
Sortie:Cinéma
Durée:96 minutes
Date:10 décembre 2014
Note:

En 2012, des extrémistes religieux prennent possession de la ville de Tombouctou au Mali. Ils y imposent leur loi, qui interdit notamment la musique et le football et qui prévoit un code vestimentaire strict pour les femmes. A la campagne, le touareg Kidane se croit à l’abri des djihadistes. Alors que tous ses voisins ont déjà pris la fuite, il a choisi de rester avec sa femme, sa fille et son troupeau de huit vaches. A cause d’une altercation avec un pêcheur, Kidane va pourtant être poursuivi par les nouveaux maîtres des lieux.

Critique de Tootpadu

L’actualité a rattrapé la fiction. Ce qui n’était, il y a deux ans, qu’une parenthèse inquiétante sur le continent africain, jusqu’à ce que les anciennes forces coloniales émettent un fin de non-recevoir à toute forme d’extrémisme aveugle et violente, est désormais l’horrible statu quo quelques milliers de kilomètres plus à l’est. Là-bas, sur le vaste territoire de l’Etat Islamique autoproclamé, la terreur règne avec une cruauté à peine exacerbée par la propagande occidentale. Dès lors, la valeur de contrepoids moins polémique qu’humaniste de Timbuktu s’accentue encore. Ce qui ne signifie point que le nouveau film de Abderrahmane Sissako fait preuve d’une quelconque complaisance à l’égard des tortionnaires, mais qu’il montre cette situation épineuse sur un ton poétique, curieusement pas dépourvu d’une beauté renversante. Il s’agit en effet plus d’un conte ou d’une parabole aux airs de farce que d’une plongée réaliste et crue dans une forme archaïque de civilisation.

Dans un contexte différent, la structure éparpillée, voire décousue, du récit nous aurait d’ailleurs déconcertés. Il existe certes une sorte de personnage principal, en la personne du berger qui devient la dernière victime des bourreaux. Mais dans l’ensemble, la narration s’emploie à enchaîner les situations et les personnages avec comme seul point commun entre eux le lieu et l’application plus ou moins draconienne de la charia qu’ils subissent. C’est un état des lieux magistral – hélas au don prophétique involontaire – plutôt qu’une reconstitution focalisée sur le sort tragique d’un seul réfractaire au nouveau système. La narration nous y fournit des points de repère, sans pour autant nous proposer une forme d’identification plus concrète que celle d’une collectivité sous le joug des miliciens venus d’ailleurs. Or, ce patchwork cinématographique adopte un ton si fascinant que nous acceptons aisément de faire l’impasse sur une prise en charge plus directive de notre regard et de notre pensée.

Il existe malgré tout un certain malaise dans ce film, qui ne provient guère de ce qu’il montre, mais de la façon dont il le fait. A commencer par sa beauté visuelle époustouflante. La lumière éblouissante d’Afrique et les décors naturels d’une austérité splendide nous réservent en effet des plans magnifiques, peut-être pas forcément à leur place au sein d’un film qui traite d’un sujet grave. Nous le devons alors à la maîtrise de l’outil filmique par Abderrahmane Sissako que cet éclat plastique ne s’égare jamais vers la contemplation gratuite. Bien au contraire, des séquences comme celle du match de foot au ballon imaginaire tirent toute leur poésie suprême de cette beauté, qui garde en arrière-pensée l’horreur qui l’entoure. De même, le choix de représenter la plupart des djihadistes et leurs moyens de communication dans toute leur hypocrisie et leur imperfection relève sans doute d’une sensibilité humaine de compréhension et d’acceptation de la faille à laquelle le camp adverse répond malheureusement dans la vraie vie avec une barbarie inconditionnelle.

Le cauchemar des djihadistes qui font autant de tort à leur propre religion qu’à ceux qui n’y appartiennent pas est loin d’être terminé. C’est grâce à des films hors des sentiers battus comme celui-ci que nous pourrons envisager ce fléau avec un recul intellectuel et esthétique, qui ne cède pas à la panique, mais qui se rend tout à fait compte de ses implications néfastes.

 

Vu le 1er décembre 2014, au Club de l'Etoile, en VO

Note de Tootpadu: