Phoenix

Phoenix
Titre original:Phoenix
Réalisateur:Christian Petzold
Sortie:Cinéma
Durée:98 minutes
Date:28 janvier 2015
Note:

En juin 1945, la chanteuse Nelly Lenz survit grièvement blessée aux camps d’extermination. Elle est recueillie par sa meilleure ami Lene, qui la conduit dans une clinique où elle doit subir une opération importante de reconstruction faciale. Désormais une autre femme, Nelly retourne à Berlin, en attendant que les projets d’exil en Palestine de Lene se concrétisent. Elle s’y met sans tarder à la recherche du pianiste Johnny, son mari qui l’avait cachée avant qu’elle ne soit arrêtée par les nazis. Elle finit par le trouver au Phoenix, un bar pour soldats américains.

Critique de Tootpadu

Parler tout bas, alors que les horreurs subies à son corps défendant devraient inciter à hurler sa peine, n’est sans doute pas la réaction la plus naturelle de la part des survivants de la Shoah. C’est pourtant celle du personnage principal de ce film allemand, qui adopte à son tour cette démarche sournoisement fascinante. Il y procède d’abord à travers une chanson de Kurt Weill en guise de thème musical dominant, et puis en réussissant un mélange astucieux entre le mythe de Phénix et le cas de figure Anastasia. Car la renaissance de Nelly ne peut pas être une transformation fulgurante, des cendres sous forme de bandages jusqu’à la lumière et un retour acclamé sous les feux de la rampe. Pour cela, elle accepte beaucoup trop facilement le double mensonge sur lequel cette nouvelle vie sera basée : celui, inévitable, de la transformation de son apparence physique et l’autre, plus préoccupant en termes moraux, du faux-semblant qui n’en est pas vraiment un.

Parmi les innombrables poncifs que cette histoire passionnelle aurait pu solliciter, Phoenix n’en adopte aucun, grâce à une narration étrangement calme et posée. Alors qu’un certain réalisme distant est de rigueur, lors de l’annonce de la mort de différents personnages secondaires, ce sont avant tout les enjeux biaisés de l’intrigue qui rendent le récit si sourdement passionnant. Les quelques revirements du scénario n’apportent ainsi moins des changements radicaux de point de vue, qu’un gain subtil en ambiguïté du comportement des personnages. Le plus complexe de ces derniers est évidemment Nelly, le pion consentant de la supercherie, qui cherche sans succès à tirer son épingle du jeu de l’abnégation de soi-même au profit d’un souvenir lointain et étrangement désincarné. Tout comme Johnny, qui n’est a priori pas le salaud lâche et insensible que Lene avait décrit initialement, Nelly poursuit une quête de rédemption au rabais, la seule forme de salut possible à l’époque de précarité affective et matérielle accrue de l’immédiat après-guerre.

Or, la mise en scène de Christian Petzold ne cherche à aucun moment à donner de faux airs d’épopée historique au septième film du réalisateur. Le récit se montre au contraire intimiste, mais en même temps investi d’une clarté limpide au léger accent germanique. Ce n’est ni une fresque sentimentale intense, ni la dissection clinique du réchauffé d’un amour impossible. Sa voie se situe davantage du côté du thriller éthéré, dépourvu de coups de théâtre tonitruants, mais investi d’une tension constante en sourdine, qui ne lâche pas le spectateur jusqu’à la dernière séquence, d’une beauté mélancolique magistrale. Les interprétations de Nina Hoss, Ronald Zehrfeld et Nina Kunzendorf sont à la hauteur de cet exploit : subtiles et simultanément pragmatiques dans leur approche de rôles à multiples facettes.

 

Vu le 4 décembre 2014, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: