Titre original: | Invincible |
Réalisateur: | Angelina Jolie |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 138 minutes |
Date: | 07 janvier 2015 |
Note: |
Le fils cadet d’immigrés italiens, Louis Zamperini est un jeune vaurien, jusqu’à ce qu’il découvre sa passion pour la course à pied. Membre de la délégation américaine aux jeux olympiques de Berlin, il participe à la guerre en tant que bombardier. Son avion s’écrase en plein Pacifique en avril 1943. Commence alors l’incroyable lutte pour la survie d’un homme, qui n’a jamais baissé les bras, peu importe les obstacles sur son chemin.
Au fil du temps, la représentation de la guerre au cinéma a bien changé. Elle a essentiellement épousé la courbe de l’appréciation patriotique ou de la résistance pacifique de la part de l’opinion publique, entreprenant à chaque époque un acte d’acrobatie hasardeux entre la propagande et la mise en garde. Ainsi, nous ne regardons plus la guerre aujourd’hui de la même façon que le faisaient les générations antérieures il y a un demi-siècle, vers la fin des années 1950, lorsque l’histoire de Louis Zamperini devait être portée à l’écran pour la première fois. A ce moment-là, une certaine fierté héroïque persistait à l’égard des combattants pour la patrie et contre la barbarie, même si des films comme Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean commençaient à interroger l’absurdité de la situation. Il serait facile de s’imaginer à quel genre de pamphlet tendancieux le destin édifiant de ce héros exemplaire aurait abouti alors, surtout si le personnage avait été interprété, comme initialement prévu, par Tony Curtis. Le deuxième film réalisé par Angelina Jolie va bien au-delà d’un simple hymne au courage d’un individu particulièrement malmené en temps de crise. Il brosse le portrait épique et universel d’un homme, qui a beaucoup souffert, certes, mais qui a su transformer son supplice en quelque chose de constructif.
Invincible commence comme une sorte de jeu vidéo rétro, avec cette bataille aérienne tonitruante au cours de laquelle l’équipage de Zamperini fait preuve d’une bravoure quelque peu juvénile. Avant de basculer dans le registre de l’aventure à l’état pur, lors du long combat pour la survie à bord du radeau, le récit y procède à une immersion enivrante dans la version la plus fictive de la guerre : celle de l’affrontement viril par excellence, où la survie dépend avant tout d’une supériorité abstraite en termes de matériel et d’adresse dans son maniement. Le véritable dessein du film se profile dès sa deuxième partie, introduite juste avant l’amerrissage périlleux et meurtrier à travers un long retour en arrière, qui conte les exploits sportifs du protagoniste. Il s’agit d’une lente et progressive démystification de la guerre ou plutôt de son reflet filmique, qui se décline pratiquement depuis la naissance du cinéma. Car l’odyssée en pleine mer, ponctuée par des tempêtes et des tentatives plus ou moins désespérées de subsister physiquement et mentalement avec le peu de moyens à la disposition des rescapés, ne constitue nullement la finalité dramatique du scénario.
Pas plus d’ailleurs que les deux premières étapes de l’existence de prisonnier de guerre, d’abord dans la jungle et puis dans le camp. Bien que la relation sadique entre Zamperini et son tortionnaire japonais puisse faire penser à celle, plus sensuelle, au cœur de Furyo de Nagisa Oshima, elle se démarque surtout par une perte irrévocable d’humanité de part et d’autre de ce rapport de force inégal. L’enjeu, voire le symbole principal de ce qui devient alors une guerre psychologique est le regard de l’un sur l’autre. Dans cette forme de reconnaissance et de défi, l’essence même de tout conflit se trouve condensée. Or, la descente aux enfers ne s’arrête point avec ce quotidien à l’horreur à peu près prévisible. Elle se termine au contraire dans l’univers apocalyptique de la mine, où l’humanité s’efface définitivement derrière les couches de suie qui recouvrent les corps des prisonniers. La vie n’y vaut pas chère, au point que même l’espoir de libération est teinté de la certitude que la mort se trouvera au bout du chemin. Les épreuves que Zamperini et ses compagnons d’infortune doivent y traverser sont si insupportables, que la narration ne cherche point à en atténuer l’impact émotionnel, à travers d’éventuels poncifs rassurants propre à la fin heureuse. Il y aurait même de quoi faire un deuxième film : sur le douloureux chemin en sens inverse, du fond du trou jusqu’à la rédemption humaine par le pardon envers les bourreaux.
Que la mise en scène de Angelina Jolie s’y refuse largement n’est pas le moindre des points à son honneur. Elle brille en effet par une assurance de ton et de propos, qui confère une envergure épique indéniable au film. En parallèle, elle suit imperturbablement un cheminement à la fois noble et éprouvant, depuis une perception presque récréative de la guerre jusqu’à son aspect le plus réaliste. Enfin, d’un point de vue formel, ce sont notamment la musique de Alexandre Despalt, la photographie de Roger Deakins, ainsi que la bande son fort efficace qui nous ont permis de plonger corps et âme dans cette histoire incroyable. Elles se mettent sans réserve au service d’un destin, qui garde intacte son aura édifiante, tout en ne perdant jamais de vue le filtre ambigu qu’applique chaque représentation de la guerre au cinéma.
Vu le 15 décembre 2014, à la Salle Pathé François 1er, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder: