Pioneer

Pioneer
Titre original:Pioneer
Réalisateur:Erik Skjoldbjaerg
Sortie:Cinéma
Durée:107 minutes
Date:28 janvier 2015
Note:

A la fin des années 1970, un gigantesque gisement de pétrole est découvert au large de la Norvège. Incapable de procéder seul à l’extraction de cette ressource précieuse, le pays scandinave devra faire appel aux Etats-Unis, plus expérimentés en la matière. Une entreprise commune de forage se met alors en place, à laquelle participent les plongeurs norvégiens Petter et Knut. Ces deux frères réussissent brillamment les expériences en laboratoire, où ils descendent à une profondeur simulée de 500 mètres. Mais leur première sortie en mer se solde par un grave accident, qui laissera Petter douter des véritables intentions de ses supérieurs.

Critique de Tootpadu

Alors que les indicateurs du changement climatique et énergétique devraient annoncer autre chose, le règne du pétrole est loin d’être terminé. Même le prix bas actuel du baril – a priori le signe rassurant d’une absence de pénurie – a des effets néfastes sur l’économie mondiale. La Russie, au bord de la faillite, s’en plaint haut et fort. Et la Norvège ne s’en émeut guère, préférant placer ses bénéfices faramineux sur les marchés internationaux, comme par exemple à la bourse de Paris, où ce pays très discret est l’un des principaux investisseurs. Or, le prix réel à payer pour cette manne aux bienfaits douteux ne se chiffrera que dans quelques décennies, lorsque chaque habitant de la planète souffrira des dommages collatéraux d’un climat extrême et que le passage trop tardif aux énergies renouvelables aura accentué les inégalités sociales. Pareille prophétie pessimiste n’était bien sûr pas encore à l’ordre du jour au début des années 1980, une période de prospérité relative après une succession de chocs pétroliers. Néanmoins, l’or noir était d’ores et déjà une histoire de gros sous, où une vie humaine ne valait pratiquement rien, comparée aux fortes sommes d’argent et à l’influence stratégique qu’il représentait aux yeux des hommes puissants.

Après une première partie aventureuse, qui donnerait certainement envie à James Cameron, le roi des profondeurs océaniques, de le parrainer, ce film norvégien reste presque exclusivement sur la terre ferme. Suite à l’accident mortel, dont le responsable sera recherché en vain par le personnage principal, le récit épouse étroitement la forme d’un thriller paranoïaque. Tous les participants sont ainsi soupçonnés de près ou de loin d’avoir joué un rôle essentiel dans ce complot supposé, dont le principal coupable trop facile à désigner serait la voracité typiquement américaine. En effet, le réalisateur Erik Skjoldbjaerg n’hésite pas d’adopter un point de vue très critique à l’égard du pays, dont l’industrie cinématographique ne lui avait pas forcément porté chance, soit en adaptant son premier succès Insomnia par Christopher Nolan, soit en lui permettant d’y tourner son film suivant, sorti en catimini. Cette prise de position manichéenne est heureusement relativisée in extremis, grâce à la découverte tardive de Petter des machinations encore plus tordues qu’il ne l’avait imaginé, qui auraient indirectement provoqué l’accident, ou qui en ont profité en tout cas.

D’un côté formel, Pioneer se conforme entièrement à l’état d’esprit fébrile du protagoniste. Tandis que le montage nerveux et le cadrage serré traduisent efficacement la sensation d’oppression inhérente à une descente au fond de la mer, ils contribuent aussi à embrouiller les pistes narratives, au risque de nous faire temporairement décrocher de l’histoire. Car l’obsession fiévreuse du frère rescapé de s’innocenter prend par moments une allure étrange, reflétée de même par la bande originale composée par le groupe Air. Le fond très sérieux de l’intrigue – une rivalité nihiliste au plus haut niveau politique et économique entre les deux pays engagés dans un bras de fer pour une surabondance future de pétrole – est ainsi détourné, voire parasité, par cette croisade personnelle. Sauf qu’à bien y regarder, il s’agit en fait de la manifestation individuelle et plus explicite d’un cauchemar universel : celui de l’impuissance absolue de l’homme isolé face aux enjeux qui le dépassent.

 

Vu le 17 décembre 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO

Note de Tootpadu: