Qui a peur de Virginia Woolf ?

Qui a peur de Virginia Woolf ?
Titre original:Qui a peur de Virginia Woolf ?
Réalisateur:Mike Nichols
Sortie:Cinéma
Durée:126 minutes
Date:15 février 1967
Note:
Un soir de printemps, un couple que les années ont rendu particulièrement méchant, reçoit un nouveau professeur en biologie, avec sa femme, chez lui. Cette visite des deux jeunes gens, à la relation pas non plus exemplaire, servira de prétexte pour un combat verbal sans merci entre George, un professeur d'Histoire raté, et son épouse Martha, la fille du directeur de l'université.

Critique de Tootpadu

A revoir ce chef-d'oeuvre et premier film de Mike Nichols, on comprend mieux ses aspirations et espoirs pour Closer, qui aurait dû être une sorte de modernisation des problèmes qui minent un couple de nos jours. Et sans vouloir minimiser les qualités du film plus récent, un travail somme toute correct, il est dépassé, voire surclassé, par ce tour de force qui n'a rien perdu de sa hargne. Regarder ces deux couples s'entredéchirer pendant deux heures et une nuit mémorable reste toujours une expérience cinématographique hautement jouissive. Les forces aussi destructrices que tenaces qui gouvernent les couples en général, et cette combinaison si vilaine en particulier, n'ont en effet pas trouvé une expression aussi volcanique depuis sur le grand écran.
Pourtant, cette adaptation géniale de la célèbre pièce d'Edward Albee ne se contente pas uniquement de mettre les effusions venimeuses de Martha et George en vitrine. Sous la première impression de l'éclat spectaculaire de cette débauche verbale - bien plus pointue que les déclarations de Julia Roberts dans cette séquence mémorable de Closer -, la sympathie pour ces êtres usés reste intacte. Ce n'est que parce qu'ils ont gardé une petite partie d'eux-mêmes sensible et vulnérable que leur jeu cynique réussit à nous toucher. Puisqu'il n'y a ni vainqueur, ni vaincu dans cette guerre des nerfs épouvantable, mais seulement des individus féroces qui rendent les coups dans une éternelle surenchère de la cruauté, leurs duels ne nous inspirent point de la pitié, seulement un drôle de mépris, nourri par la splendeur décadente de leurs échanges.
Mike Nichols a trouvé un ton incroyablement juste pour son premier film, un exploit qui allait se perdre malheureusement au fil du temps pour déboucher sur cette sobriété efficace et élégante qui caractérise la plupart de ses films suivants. Outre un jeu habile sur de rares gros plans avec des objets ou des gestes - qui place le film bien dans le début de l'éveil formel des années 1960 -, il sait parfaitement dynamiser l'espace d'origine théâtrale, jusqu'à faire oublier presque toute référence à la scène. Avec la beauté visuelle qui sert uniquement de support à la laideur des événements, il crée un cadre d'une précision artificielle, apte à nous immerger dans ce divertissement exquis. Enfin, l'emploi parcimonieux de la belle bande originale d'Alex North, telle des oasis paisibles au centre de l'orage, permet une structure ferme et nullement tributaire des coups incessants infligés par des répliques inimitables.
Le point cardinal qui fait entrer ce film dans le panthéon des plus grands est cependant l'excellence, non, la brillance parfaite de ses interprétations. Il n'a certainement pas nui à l'intensité des échanges qu'Elizabeth Taylor et Richard Burton étaient mariés lors du tournage du film. En effet, l'amour qui garde Martha et George prisonniers l'un de l'autre devient presque palpable à travers leur jeu intense. Absolument égaux, ils livrent chacun le sommet de leur carrière, une somme incroyable d'énergie débordante et de souffrance pénible qui rend Martha la plus grande garce de l'histoire du cinéma et George un des personnages les plus complexes et masochistes.

Revu le 7 avril 2005, à la Pagode, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu: