Conference-de-Presse - Le majordome

Par Mulder, Deauville, 31 août 2013

Q : En ce qui en est de la polémique qui a précédé la sortie du film, est ce que vous avez craint que cela atteigne celui-ci ?

Lee Daniels : oui en effet, je suis quelqu’un qui a vraiment besoin de se concentrer sur le film pendant le tournage et j’avais peur que cela soit une distraction puisque je ne suis pas capable d’avoir une vie parallèle quand je tourne je m’occupe ni de moi ni de mon enfant encore moins de ce qui peut paralyser ma concentration donc je craignais effectivement que cela atteigne le film mais heureusement cela n’a pas été le cas Pour ce qui est du titre, il y a eu effectivement ce conflit entre la Weinstein et la Warner et finalement cela a été tranché par la commission qui a imposé ce titre que je n’ai pas choisi, le Majordome de Lee Daniels mais cela m’importe peu je l’appelle tout simplement Le Majordome (The Butler).

Q : J’aurais aimé savoir ce qui vous a intéressé dans le livre et dans le sujet, était-ce l’occasion de traverser plein d’époques, de suivre l’évolution des afro-américains aux Etats-Unis qui soient bonnes ou majordomes et en même temps de montrer toute cette discrimination raciale envers ces afro-américains ? Il se trouve que l’on a là quelque chose que l’on ne connaissait pas.

Daniels : Je dois dire que j’ai choisi moi le livre pour traiter cette histoire d’amour entre un père et un fils. C’est ce qui me passionnait et il me semble que c’est une histoire universelle le lien qui existe entre un père et son fils. Nous sommes tous fils de quelqu’un et avec un peu de chance père d’un enfant. C’était pour moi quelque chose d’universel qui dépassait les spécificités culturelles ou géographiques, j’ai vraiment décidé de traiter de cette histoire d’amour-là. C‘est seulement quand on est venu au tournage des scènes atroces telles que celles de ce bus incendié et de ces gamins qui se font battre à mort que je me suis rendu compte que cela dépassait ce cadre-là, que j’étais sorti de cette histoire d’amour et que là, j’avais à faire à la question des droits civiques qui s’inscrivait dans la grande histoire des Etats-Unis dont il fallait traiter également.

Q : Le Président des Etats-Unis Barack Obama a déclaré récemment qu’il avait pleuré en voyant le film justement en repensant à la condition de ces majordomes qui travaillaient à la Maison Blanche. Pouvez-vous nous dire ce que cela vous a inspiré ?

Forest Whitaker : Evidemment, c’est très touchant d’entendre cela, cette réaction, d’autant que je citerai l’auteur du scénario qui nous a dit que le personnage dont a été inspiré cette histoire, lui-même on peut le citer a dit que le jour où il a vu l’investiture de Obama à la Maison Blanche, il s’est dit qu’il n’aurait jamais rêvé d’un moment pareil. C’est d’autant plus touchant de voir aujourd’hui qu’Obama lui-même a vu ce film et a perçu pleinement son message et a pu s’inscrire au cœur de cette histoire-là. Tout ce voyage qui est fait entre la vie de ce personnage à travers l’histoire américaine jusqu’à aujourd’hui comme l’investiture d’un Président comme Obama est quelque chose d’extrêmement fort. J’ai eu l’occasion personnellement de lui parler et c’est très touchant de savoir qu’il nous rend le message qui lui a été renvoyé. J’aimerais rajouter qu’en fait, il y a aussi cette façon dont Lee a su traiter ce sujet, quand vous racontez l’histoire vraie de personnes vraies qui sont là pour voir le film que vous faites, c’est un peu un sujet pour lequel on se demande comment ceux-ci vont prendre la façon dont on traite leur histoire et savoir si ils seront d’accord et comment ils vont percevoir ce qu’ on veut leur dire à travers ce récit ce qu’ on fait de leur vie. C’est ce qui s’est passé lorsqu’il y eu une projection du film, le fils du personnage dont l’histoire a été inspirée était présent dans la salle et on a pu lui demander ce qu’il en a pensé. On était tous un peu sur les dents car on se demandait comment il allait réagir. C’est vraiment quelque chose de particulier pour ce film.

Q : Est ce qu’il y a un point particulier à jouer ce genre de rôle ? Est-ce que dans votre carrière, il y a des caractères qui eux ont été plus lourds à porter ?

Whitaker : bien sûr ce rôle a eu ses propres difficultés. Je dois dire surtout l’approche qui a été celle de Lee et qu’il a choisi de traiter d’une période historique tellement longue donc il y avait en plus de la maturation de l’homme, il y avait aussi la question de l’âge à traiter et à l’accompagner dans ce cheminement et m’approprier intérieurement celui-ci. Tout cela a créé une difficulté mais je dois dire que pendant tout ce processus, j’étais rempli d’une réelle joie qui me portait et me permettait d’aller au bout de ce travail ce qui n’a pas toujours été le cas pour d’autres rôles difficiles que j’ai eus à incarner. Par exemple, je me souviens lorsque je jouais le rôle de Charlie Parker, tous les matins en me réveillant et en sachant que je me devais de nouveau m’atteler à ce travail là, il me prenait l’envie de mourir tellement j’étais déprimé par ce rôle et c’est quelque chose qui peut vraiment devenir une épreuve quand vous incarnez un personnage difficile. Certes, il y a eu ici aussi des difficultés, interpréter cet homme qui travaillait vingt heures par jour avec sa propre souffrance mais ce n’était qu’une souffrance de surface car au fond notamment grâce à toute cette équipe extrêmement impliquée et engagée dans ce film j’ai vraiment vécu des moments de joie.

Q : pour aller plus loin dans ce sens, est ce que vous pouvez nous parler de votre méthode d’interprétation car nous avons le sentiment que vous êtes l’un de ces acteurs qui joue un rôle le matin et qui le soir rentre chez lui et enlève son costume et vit sa vie normale mais vous essayez forcément de devenir celui que vous incarnez comme vous venez de le dire concernant Charlie Parker. Est-ce que cette impression est juste ?

Whitaker : en effet, il me semble important de permettre au personnage d’exister, de lui donner cette existence et pour moi il s’agit certes de m’entretenir avec le réalisateur, d’essayer d’obtenir des informations autant d’ordre technique, historique que d‘ordre émotionnel sur le personnage et puis il y a un moment où il faut accepter de se jeter dans le vide, il faut accepter de faire confiance au précipice et savoir que c’est grâce au lâché prise que le personnage existera, avoir confiance en lui et avoir confiance en l’instant de la rencontre entre lui et vous. Je ne sais pas si tous les acteurs font ce genre de cheminement mais en tout cas c’est le mien. C’est le voyage qui me semble nécessaire pour incarner un personnage mais je crois que c’est un voyage plus d’ordre spirituel que vraiment technique.

Q : A la lecture du scénario, comment avec vous vu ce personnage de majordome et comment l’avez-vous perçu et ressemble t’il à celui que l’on voit sur l’écran à celui que vous aviez imaginé ?

Whitaker : non, il ne lui ressemble pas, mais j’ai pu percevoir le personnage dans son étoffe, dans sa complexité à la lecture, c’est pour moi quelque chose qui se tisse au fur et à mesure que le processus de la création avance, c’est beaucoup dans un échange avec le réalisateur. Là, je dois dire que cela s’est produit dès le départ. Nous sommes en symbiose entre Lee, Oprah et moi, nous construisions ensemble ce personnage et ce réseau de personnages. C’est à travers ce travail et ce temps qui passe que le personnage se créée, qu’il évolue et qu’il croît. Je crois qu’il continue de mûrir jusqu’à l’instant où le film se fait et que le personnage apparaît.

Q : Que pensez-vous du fait que votre film est acquis un tel succès ?

Daniels : pour ce qui est du succès fracassant qu’est entrain de remporter ce film aux Etats-Unis et peut être de son explication, les réponses, je n’en ai pas encore vraiment, je manque de recul, nous vivons cet accueil et je suppose qu’il est extrêmement positif mais je vais encore me pincer pour y croire. Pour ce qui est de l’enjeu du film, il y a cette phrase que l’on cite dans le film qui dit qu’ aujourd’hui aux Etats-Unis n’importe quel blanc peut tuer n’importe quel noir et s’en sortir et on a l’impression dans l’histoire du film que c’est quelque chose qu’ on laisse dernière nous et encore une fois quand je termine le film avec ce que l’on pourrait prendre comme une consécration qui est l’investiture de Obama et considérer cela comme une victoire. En sortant de la salle de montage, j’ai eu l’amère impression que ces phrases étaient encore vraies aujourd’hui. N’importe quel blanc aujourd’hui peut tuer n’importe quel noir et s‘en sortir. Je ne sais pas vraiment quoi dire sinon que le chemin que nous avons parcouru est certes long mais il reste encore long devant nous.

Q : J’ai une autre question à poser à Forest Whitaker sur sa technique de travail . Vous disiez entrer à ce point dans la peau des personnages, est ce que vous avez aussi parfois du mal à en sortir ?

Whitaker : C’est très variable et cela dépend des personnages, il y en a qui vous quitte plus ou moins du jour au lendemain et d’autres qui vous accompagnent. Moi, je vis cela comme un processus de la vie, comme des réincarnations successives. On change ainsi de peau et on passe soit même à une autre étape de son existence. Il y en a dans lesquelles on garde des traces des personnages que l’on a incarnées et on essaye que cela soit les traces les plus bénéfiques, ce que l’on a vraiment appris, dans lesquelles on s’est vraiment enrichies. Ce n’était pas toujours le cas. Je pense que l’expérience la plus douloureuse fut celle en sortant d’un personnage de schizophrène dans laquelle je m’étais donné un tel mal pour me convaincre que quelque chose ne fonctionnait pas dans mon cerveau et ne me permettait pas de voir le monde comme un esprit sain que cela a laissé des traces. Effectivement après, j’ai été longuement perturbé et d’ailleurs, j’en ai retenu la leçon de ne plus accepter ce genre de rôle sans doute. Parfois, ce sont aussi des troubles de langage, d’une façon de dire, certains gestes de la main qui peuvent vous accompagner encore pendant un an.

Q : J‘ai une question pour Lee Daniel par rapport au film car l’un des points communs du Majordome avec Precious qui est votre premier film que l’on a découvert à Deauville c’est qu’ils arrivent à s’aider tous les deux par le savoir. Est-ce que c’est le genre de personnages qui vous intéresse justement et que vous aimez fouiller et montrer que le savoir est plus important que tout et que c’est cela qui peut vous élever. Ma deuxième question concerne un moment du film où on voit un passage par la non-violence pour le fils puis la violence et enfin on termine par la non-violence. Est-ce aujourd’hui que le combat des afro-américains n’est pas plus par la non-violence comme Martin Luther King que Malcom X ?

Daniels : Effectivement, la première fois où l’on fait un rapprochement entre Precious et le personnage de Cecil, le point commun entre les deux c’est que l’on assiste à la naissance d’une âme, la création d’une identité. C’est en effet ce qui m’intéresse et que j’aime donner à voir. C‘est assez pertinent comme rapprochement. Pour ce qui est de votre question, bien sûr la non-violence l’emporte et elle est juste ce que nous donne à voir le film est peut-être la nécessité d’avoir des héros qui sont capables de se battre pour l’âme du pays. Ces gamins que l’on voit dans le film l’ont fait et j’espère que ce film va susciter des vocations de héros. Personnellement je n’en suis pas un, je suis un cinéaste, je saurai peut être me présenter devant un fusil pour sauver mes enfants mais pas pour le droit de vote. Je n’ai pas cette étoffe là mais j’espère que les gens qui verront le film repartiront avec cette inspiration-là, qui sait peut-être cette vocation-là. C’est ce que j’espère.

Q : Dans votre façon d’incarner un rôle, il y a certes votre talent pur et inexplicable mais qu’elle est la part de votre formation d‘acteur et du travail de préparation ?

Whitaker : Cela me touche et me flatte que vous voyez en moi un pur talent. Ce que je peux vous dire et qui a fait la différence quand j’ai commencé ma carrière c’est que j’étais un bosseur, que je me donnais beaucoup de mal pour travailler même si j’avais une seule réplique à dire dans un film je pouvais y travailler des semaines pour essayer de comprendre comment j’allais dire cette phrase là et sans négliger la part de travail et d’effort pour apprendre ce métier et puis après vous vous apprivoisez vous-même et peut être pour répondre à la question de la façon dont on sort d’un rôle vous commencez vous-même à avoir un regard sur la trajectoire qu’est la vôtre pendant que vous travaillez. C’est peut-être ce qui m’a permis avec ce film-là de m’en sortir plus facilement et peut être plus de recul et du coup apprécier et prendre du plaisir et trouver de la joie à vous regarder vous-même incarner un personnage et à l’apprendre. Pour ce qui est de ma formation, j’ai suivi plusieurs conservatoires, j’ai aussi suivi la tradition anglaise que la méthode acting à l’université de Californie. J’ai eu différentes possibilités d’approcher les méthodes différentes et puis, il y a après trente ans de pratique sur le terrain qui vous fait mettre la main à la pâte et mettre à l’épreuve les techniques que l’on vous enseigne. Les techniques sont finalement toutes valables. Cela peut être de l’intérieur vers l’extérieur ou inversement. Vous pouvez d’abord taper du poing puis ressentir de la rage ou d’abord laisser la rage monter en vous et c’est cela qui vous fera taper du poing sur la table. Les méthodes importent peu. Les astuces que vous vous enseignez vous-mêmes importent peu, en tout cas il faut se donner du mal et travailler mais merci encore si vous ne voyez là que tu talent.

Propos recueillis par Mulder , le 31 aout 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos: Mulder